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vendredi 4 juillet 2014

Apprendre à perdre

Vendredi 4 juillet 2014
France-Allemagne (quart de finale)
Rio de Janeiro



Ils se sont battus, ils ont perdu, nous sommes tristes, le Mondial est terminé. C’est encore la faute à ces satanés «détails» qui nous poursuivent. Gagner c’est bien. Mais perdre, c’est encore mieux. 

Perdre. Perdre encore. Perdre sans combattre. Perdre sans avoir le plaisir de rêver encore un peu. Perdre sans avoir le temps de se demander ce qu’on aurait pu faire, ce qu’on aurait peut-être dû faire. Perdre en voyant le temps qui coule seconde par seconde et qui semble indifférent à notre sort. Perdre comme une obsession qui assaille l’esprit dès le premier but. Il y a des matchs où l’on essaie de s’attraper à quelque chose, comme la Colombie s’était accrochée à son génie de 22 ans matraqué pendant 90 minutes par Fernandinho. James Rodriguez n’avait rien dit et s’était obstiné. De ce visage de poupon dégoulinaient une envie et un talent capable d’entretenir l’illusion d’un miracle et de faire taire tout un stade hostile. Il n’avait pas d’expérience, lui, mais en marquant ce pénalty il avait offert aux spectateurs l’envie d’en voir encore plus, de se coucher tard, l’illusion que ce match ne terminerait jamais. Les Colombiens avaient perdu en offrant ce qu’ils avaient de mieux, en vidant absolument toutes leurs poches. En deuxième mi-temps ils s’étaient lancés à l’attaque sans milieu de terrain, sans aucun filet qui les retenait. Il voulait tellement gagner qu’ils avaient oublié qu’ils pouvaient aussi perdre. C’est cette pleine inconscience de l’enjeu qui offrit au spectateur la volupté d’un spectacle dont il se souviendra. Le plaisir c’est le risque. L’expérience c’est l’ennui.

Maracana morne plaine

Alors que penser quand la cruauté de la Coupe du Monde s’exerça en pleine après-midi ?  Dieu (forme sublimée de la FIFA) avait voulu que ce France-Allemagne fût le premier de tous les quart-de-finales et qu’il précédât ainsi de quelques heures ce splendide Brésil-Colombie rempli de larmes, de sueurs et d’inconstance. Certes il y eut des fautes dans ce match mais il y eut quelques souvenirs à conserver : ce coup franc de David Luiz, ce visage rouge de Lucifer célébrant son forfait devant 50.000 possédés. Il y eut les contrôles de balle de James aussi. La blessure de Neymar. Quelque chose qu’on pressentait mémorable. Plus ce Brésil-Colombie devenait intéressant plus la mémoire se mettait à déformer notre France-Allemagne. Que nous avait-il offert, à nous, au juste ? Qu’allait-il nous laisser dans le cerveau ? Une frappe de Benzema, un ou deux hors-jeu. L’arrêt de Neuer. Peut-être un peu de souffrance aussi, parce qu’il fallait bien. Mais ce goût de fer dans la bouche et cette espèce de tension irrépressible qui tombe dans les jambes à l’heure d’abandonner le Maracana sans y avoir marqué le moindre but, est la sensation amère des rendez-vous manqués. On a beau essayé de se souvenir, il ne nous restera pas grand chose à retenir, en fait. Aucune leçon à tirer. Le vide. Même les Allemands avaient l’air triste à la fin de ce match. 

Le détail de l’histoire

Dans la presse étrangère, on parle aujourd’hui de notre France-Allemagne, ce sommet, cet Olympe, comme d’une triste après-midi où il n’y eut «rien au Maracana» (El Pais), que la France avait été «gelée» (The Telegraph) que ce match «fut l’un des plus pauvres de la Coupe du Monde. Il n’y eut aucun risque, aucune émotion» (El Pais). Quand on parle de notre Deschamps, notre «patron» (Le Monde), comme d’un «entraîneur malhabile» (El Pais) qui sortit Cabaye «le seul milieu capable d’adresser des ballons dans la surface à Giroud», on aimerait leur dire que non, nous, on y avait cru, mais les forces nous manquent. Alors après ce France-Allemagne, nous nous étions tus comme nous nous étions tus après ce Chelsea-PSG où les savants de la chose avaient là aussi diagnostiqué un «manque d’expérience». Ils avaient deviné que c’était bien les «détails» qui faisaient la différence entre la victoire et la défaite à ce «niveau de la compétition». Une touche d’Ivanovic, un but du tibia de Ba, ne valaient pas beaucoup plus cher que cette «erreur de marquage» de Varane sur Hummels. Il faut regretter ces fameux «détails» qui décident des grands matchs, ce «manque d’expérience», qu’on évoque comme un mot d’excuse falsifié à chaque défaite nette et sans contestation possible. Mais en vouloir au temps qui passe, c’est comme en vouloir au temps qu’il fait. C’est la meilleure façon de ne rien dire, de ne rien faire et puis d’attendre. 

Le compétiteur qui ne compétite plus


Pourtant il y en aurait eu des choses à dire, mais quand la Patrie est en jeu, on préfère se taire plutôt que de passer pour un lâche « On a quand même bien représenté notre pays, avec fierté. On finit la compétition en étant fier d'avoir tout donné pour la patrie, je pense que les Français l'ont senti aussi», nous dit Sakho juste après ce match. Comme il s’était ainsi adressé à nous, on est bien obligé de lui répondre qu’on est un peu déçu quand même et que la «Patrie» aurait peut-être mérité un peu plus de panache. On aurait préféré perdre 4-3 plutôt que 1-0 sur coup franc à la dixième minute. Sakho, il ressemblait un peu au médecin-chef Bestombes du Voyage au bout de la nuit, celui qui réparait les soldats blessés à grand coups d’électrochocs pour les renvoyer ensuite à leurs tranchées au nom du «patriotisme». Céline nous avait pourtant prévenu «pour accéder à cette vérité, non seulement l’intelligence est superflue, Bardamu, mais elle gêne !». On aurait préféré parler d’autre chose, mais enfin, il n’y avait pas le choix. Alors pour patienter un peu, on prit un autre livre pour éviter de trop penser et trop regretter. À la page 44 de Dínamico de lo impensado de Dante Panzeri, le livre qui révolutionna le point de vue sur le football dans l’hémisphère sud dans les années 60, on lit bêtement «la barbarie et le désagréable du football vient du fait que le public ne sait pas au nom de quoi et pourquoi on joue au football. Voilà pourquoi il est perméable à croire à l’idée que durant un match c’est ‘le pays‘ ou ‘la patrie‘ qui joue.» Perdre fait partie du jeu. La Patrie n’a rien à voir avec tout cela. Ce qui compte ici, c’est la façon de se souvenir, la façon de tomber, la façon d’apprendre. C’était donc cela l’expérience, apprendre à perdre. 

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