Mes articles par thèmes

mercredi 24 juin 2015

Éloge démesuré de François Langlet - inédit




Dimanche on n’a rien compris aux explications de François Langlet sur le plateau du journal télévisé de France 2. Mais peu importe. Le chauve le plus inquiétant de France nous a encore sauvé des griffes vénales du capitalisme. Éloge.

Il y a encore des gens qui n’aiment pas l’économie. Dimanche soir François Langlet portait une veste de velours bleu marine et une cravate couleur saumon. Comme toujours il avait le cuir chevelu parfaitement lisse et sur la surface légèrement concave de son crâne ovoïde se reflétaient avec finesse les rayons des ampoules éclairant le studio du Journal Télévisé de France 2.  Il avait cet moue, François Langlet, qu’il a toujours avant de prendre la parole. Le nez aux cavités profondes capable de humer avant les autres les saveurs du lointain, l’oeil électrique et le sourcil en circonflexe, François Langlet était un être venu du futur pour nous rassurer sur nos destinées de consommateurs exemplaires. Il avait l’air d’avoir des choses à nous dire ce dimanche quand Laurent Delahousse, semblable à ces jeunes étudiants perdus sous une indéchiffrable quantité de notes et de paperasse se tourna vers lui comme vers un aîné. Ce dernier, fier d’être ainsi interpellé par un amphithéâtre rempli néophytes, n’avait placé devant lui, ne la consultant qu’avec la parcimonie de l’expert exercé, un minuscule feuillet ponctué de quelques notes. 

Quand Français Langlet prend la parole, Laurent Delahousse se tait mais c’est nous qui faisons silence. 

L’amour des courbes

Cet homme n’a plus de cheveux depuis longtemps. Était-ce déjà son cerveau au travail qu’on devinait remuer sous les projecteurs ? Il y a des êtres qui se rasent le crâne sous la contrainte d’une hiérarchie militaire, carcérale ou même par coquetterie. Mais François Langlet, lui, s’était rasé la tête par dévotion à la science économique. Il était responsable de service chez France 2 et une fois par semaine nous racontait la mondialisation, cette force mystérieuse qui nous poussait à acheter chinois, à consommer français, à vendre partout ailleurs. Avec lui nous commentions avec gourmandise nos progrès sur la balance commerciale, les ceintures qui nous serrions autour de la taille de notre économie, la reprise qui était toujours encourageante, les taux d’intérêts qui n’en finissaient plus de monter et les courbes toujours ascendantes de nos cycles économiques. Depuis François Langlet nous savions que le vocabulaire de la croissance était aussi celui de l’amour. 

Il y eut un temps, souvenez-vous, où les fusions d’entreprises, les négociations financières, les dernières mesures fiscales allemandes ne suscitaient guère dans notre esprit que quelques secondes d’agacement conclues irrémédiablement par un même soupir de désintérêt.  Il y eut une époque où ces évènements si inconséquents sur nos existences quotidiennes, ne méritaient pas l’éclairage d’un spécialiste d’une telle renommée. C’était le temps où l’économie était au Journal Télévisé ce que la cuisine était à la maison. Quand on invitait des étrangers si nombreux à contempler la marche de la France (c’est-à-dire du monde) devant notre télévision, on ne gaspillait pas notre temps à débattre de la température des fourneaux, du degré d’humidité du réfrigérateur. On ne s’intéressait qu’à la politique internationale, aux conflits lointains, aux otages retenus, aux catastrophes aériennes. En un mot, des sujets plus nobles. Mais avec François Langlet, l’économie - c’est bien là son sens grec premier oikonomía, gestion de la maison—  était redevenue une science familière et quotidienne. 

“Bonsoir François” “Bonsoir Laurent”

Ainsi Dimanche soir Laurent Delahousse nous avait regardé dans les yeux avant de céder la parole au prophète “en France, économie également (Laurent Delahousse n’a pas besoin de verbe pour se faire comprendre de nous), avec cette offre de 10 milliards d’Euros faite par l’opérateur SFR pour le rachat de Bouygues Télécom. Une opération suivie de près par le ministre de l’économie qui a déjà exprimé ses réticences, un rachat qui pourrait aussi avoir des conséquences pour le consommateur”  Mais quel était l’objet de cet avertissement ? “23 millions”, “11 millions”, au total “34 millions de clients potentiels” le tout pour “10 milliards d’euros”; ces chiffres jetés en l’air comme des constellations nous donnaient une idée neuve et inquiétante de l’infini.

- Alors un homme est en train de bousculer l’économie française dans différents secteurs depuis… plusieurs mois, reprit le présentateur après la diffusion d’un reportage sur le sujet conclut d’un micro-trottoir édifiant sur le bon sens tout paysan du passant du quinzième arrondissement de Paris.  Avec nous pour y voir plus clair François Langlet, bonsoir François…

- Bonsoir

Cette étrangeté du rite télévisuel qui consiste à se saluer à chaque apparition comme si l’on ne s’était pas vu jusqu’ici, comme si on se voyait pour la première fois de la journée (alors même qu’on a préparé cette émission ensemble et que nos bureaux sont voisins) a peut-être pour fonction de créer l’illusion d’une conversation continue entre le présentateur et le téléspectateur dans laquelle on inviterait de façon arbitraire certains intervenants qui apparaîtraient et disparaîtraient selon notre bon vouloir. Cet effet de connivence entre le présentateur et son invité qui faisait mine d’apercevoir son collègue pour la première fois de la journée avait pour effet immédiat de supprimer la distance entre nous et lui,  entre le spectateur et le présentateur, entre le réel et l’image. Laurent Delahousse n’était pas dans la télévision. Il était devant la télévision. Accrochés à sa main, nous étions alors disposés à faire confiance à tous les personnages qu’il nous présenterait sur le chemin inquiétant de l’actualité dominicale. Tout était réel, la preuve Laurent Delahousse nous le montrait.

- Alors qui est cet homme ? reprit Delahousse, feignant l’ignorance. Il s’appelle Patrick Drahi, reprit-il lui-même. Il a 51 ans, et depuis quelques temps il a apparemment beaucoup d’appétit…

Quand l’immense majorité des patrons du monde bien qu’inconnus du grand public nous étaient présentés d’un épithète flatteur ( “le célèbre untel”, “le grand patron de la grande industrie quelque chose” “le magnat de l’immobilier truc”), Patrick Drahi, lui, n’avait eu le privilège d’aucun adjectif. Les choses s’annonçaient mal. 
Qui était-il ? 
La réponse est dans la question : un inconnu. 

C’est là que François Langlet, l’homme qui connaissait les secrets du circuit économique, nous prenait à son tour par la main et, tel le mentor se chargeant de l’enseignement de Télémaque en l’absence d’Ulysse, nous guidait dans cet enfer.

- Oui, c’est un polytechnicien, c’est un entrepreneur qui est devenu l’une des premières fortunes françaises. Il vit en Suisse…

En une phrase tous les abîmes renaissaient sous nos pieds. Il était “Polytechnicien”. “Encore un” pensions-nous. “Entrepreneur” c’est-à-dire qu’il était un loup solitaire avec beaucoup “d’appétit”, précisait-on. Il rôdait autour des fleurons de notre industrie quand approchait le crépuscule comme le loup de montagne autour des troupeaux des alpages. Bouygues c’était la chèvre de Monsieur Seguin.

10 milliards mais pour quoi faire ?

“Il vit en Suisse”. C’était la preuve irréfutable qu’on ne pouvait pas faire confiance à cet homme qui était un exilé fiscal, c’est-à-dire un traître venu des montagnes. Bien sûr rien de notre quotidien n’aurait été immédiatement bouleversé par ce rachat, si ce n’est peut-être la couleur de l’en-tête de notre prochaine facture. “Un euro supplémentaire” par facture méritait-il ainsi cinq minutes de débats à une heure de telle écoute ? Quel était l’objet véritable de cette discussion ? Drahi proposait 10 milliards d’euro pour devenir propriétaire de Bouygues Télécom. Certes. Mais pour quoi faire ? On ne saurait rien de cela.

- François, pour qu’on comprenne bien, respiration de Delahousse qui force ensuite sur la diction comme on pèse ses mots, mais d’où viennent ces nouveaux 10 milliards d’euros ? 

Du ciel, certainement pas. 

- C’est tout le problème, rétorqua Langlet, dans ce dialogue manifestement écrit par avance et qui résonnait comme une répétition général de théâtre de fin d’année. Patrick Drahi achète beaucoup (le traître), il achète cher (en plus) et il achète à crédit (avec l’argent des autres). Ce qui présente deux risques.

Souvenez-vous, Langlet connaissait l’avenir. Il savait qu’on n’empruntait pas autant d’argent en toute impunité. La dette était insoutenable quand elle était trop importante. On ne saura pas quel est le bénéfice annuel de ces sociétés (qui rembourserait le crédit accordé en moins de temps que nous eûmes honoré notre misérable crédit immobilier), quel serait le montage financier permettant de rendre cette fusion aussi rentable. Bref, quel était l’objectif de ce rapprochement. Non, ce soir nous étions venu prendre notre leçon de morale et François Langlet nous l’administrait avec l’autorité d’un Prix Nobel.

- Un : le péril d’une dette excessive qui est libellé en dizaine de milliards (n’était-ce pas le niveau de revenu qui fixait le degré “excessif” de l’endettement ? On aurait pourtant juré…) Deux : la difficulté à intégrer ces entreprises rachetées. Une entreprise ce sont des salariés, c’est une histoire, c’est une culture, ça ne se fusionne pas sur un coin de table sans dégât. 

Drahi c’était le grand capital cruel et anonyme. C’était les cols blancs, ces hommes oisifs à la moralité de possédants et aux moeurs excentriques de bourgeois bien nourris au chaud dans leurs bureaux, détruisant en toute conscience le fruit du travail de leurs ouvriers. La valeur marchande - le commerce, l’accumulation de capital - se substituait à nouveau à la valeur travail - celle de la sueur et des efforts. Sans oser l’avouer Langlet le libéral réveillait le Zola qui sommeillant en nous.

Militant quotidien de l’inhumanité

Quel était alors l’objet de cette conversation ? Pourquoi prenait-on la peine de nous exposer des problèmes aussi lointain de nos considérations quotidiennes que celle d’un projet de fusion de deux grandes entreprises du CAC 40 ? Avait-on vraiment notre mot à dire sur la question ? Il n’appartient pas de se prononcer ici sur les bienfaits économiques de cette opération. Le seul objet de ce récit est d’en extraire ce qui à travers le langage et sous couvert d’évidence et de bon sens, relevait en fait de l’idéologie.

La réponse était connu depuis longtemps. Drahi était comme l’autre, celui de la chanson de Noir Désir :

- Bien sûr, Patrick Drahi va peut peut-être nous surprendre mais tout cela rappelle un autre homme pressé, il y a quinze ans, Jean-Marie Messier, qui avait mis en péril son entreprise à force de rachats multiples.

Le portrait de l’ancien patron de Vivendi-Universal s’afficha alors sur les écrans LED du studio, comme un avertissement. Et le dialogue s’arrêta sur cette note de scepticisme. 

Comme si on venait de parler de lingerie fine ou de potins mondains, Delahousse, qui aurait pu demander qu’on précise un peu plus ce qu’il y avait de commun entre ces deux hommes si ce n’est la mauvaise réputation auprès des téléspectateurs, conclut d’un gourmand :

- Les dessous de l’actualité économique c’est avec François Langlet le dimanche soir, merci.

La réponse, en fait, était à cherché dans le Replay, de l’émission. Le ministre était “réticent” avant d’examiner le dossier, nous avait dit Delahousse quelques secondes avant de lancer le reportage. L’objet de ce qui suivit (le reportage, le dialogue) n’était donc pas d’expliquer la situation, les fondements de cette décision, les motivations du dénommé Patrick Dahi. Non, l’objet de cette mise en scène était de nous faire partager “cette réticence”, de nous placer sous le patronage de l’homme qui nous sauverait bientôt de la dévoration. Le mardi suivant, quand il ouvrirait le dossier de la fusion,  mission accomplie, Christian Eckert, le secrétaire d’Etat au budget (mais que venait donc faire le ministre des impôts dans cette galère ?), aurait tout notre soutien. Le ministre venait de sauver des loups la petite chèvre de Monsieur TF1.

Par Thibaud Leplat


vendredi 29 mai 2015

Diego Costa ou la beauté du diable



Est-ce un sacrilège de faire l’éloge de Diego Costa ? Cet homme est peut-être le méchant le plus réussi depuis le serpent. C’est à lui qu’on doit le piment et l’aigreur. C’est à lui qu’on doit la révolte de Paris. La fonction de Diego Costa est exactement celle de son double, le diable.

Combien d’heures devront encore passer avant qu’on oublie enfin son visage ? Quand chacun on aura conté déjà plusieurs fois le goût aigre de ces interminable minutes à guetter la récompense de notre tempérance et notre obstination, que restera-t-il de ce match dans notre mémoire, quel est celui qui survivra à l’oubli ? On avait aimé les trente premières minutes à en mourir, c’est certain, on avait deviné un Pastore virevoltant dans les milieux adverses prenant à la gorge le dragon anglais et le poignardant, centimètre par centimètre, jusqu’à bientôt le rendre à ses 10000 ans de disgrâce. Le talent et la beauté nous débarrasserait enfin des ombres et des malédictions. Enfin allait-on assister au triomphe européen qu’on attendait depuis deux saisons, celui qui prouverait enfin au monde que Paris était bien la ville de l’avant-garde et de la contestation. Matuidi, Veratti et Motta, plantés en cerbères intraitables du jeu parisien, veillaient sur le ballon et nos destinées fragiles. Ils allaient voir, les anglais, ce que jouer avec le feu veut dire. Notre Dragon presque terrassé, nous tenions enfin notre épreuve initiatique.

Les ailes bleues

Mais l’expulsion d’Ibra est arrivée et le panorama en fut bouleversé. C’est alors que l’Adversaire, celui qui ment, qui triche, qui sourit quand on l’accuse, celui qui ignore la honte et le déshonneur reprit des forces et se gonfla à nouveau de cet orgueil insupportable. Il avait le dos courbé, la lippe humide, les yeux noirs et la démarche d’un ange aux ailes bleues et rognées, comme dans le tarot de Marseille. Quand Diego Costa tombait au sol, il avait toujours le sourire satisfait qu’a Satan dans les sculptures moyenâgeuses, cette façon d’en savoir beaucoup plus sur l’âme humaine que n’importe quel philosophe aux moeurs irréprochables. Il a toujours envie de rire, le Malin, quand il nous regarde nous obstiner à nous refuser à lui, à ne jamais tomber dans ses pièges. Vers la soixante-douzième minute, quand il avait tendu évidemment trop fort la jambe et taclé - par derrière bien sûr - le capitaine irréprochable et impassible Thiago Silva, on ressentit tout ce que les prophètes avait enduré avant de triompher du mal. L’arbitre de ce match lui tendit un carton jaune dérisoire, comme si avertir le Diable avait un sens, comme si le menacer d’exclusion suffisait à le soumettre. Diego détourna les yeux d’un sourire narquois. Même l’arbitre avait succombé.

Devenir délateur

Diego Costa n’est jamais à court d’apparences. Il prend parfois le tour inoffensif d’un vieillard cacochyme dont la démarche étrange donnait à ses gestes réalisés dans les surfaces adverses les allures de miracles. Comment tenait-il debout en dépit de ses jambes si menues, de ces pieds si écartés ? Comment supportait-il à chaque match d’être la cible d’autant de défenseurs cruels et furieux ? On ressentait parfois de la pitié, il faut le dire, pour ce brésilien qui avait choisi l’Espagne l’année où son pays de naissance, le Brésil, lui offrait le privilège de jouer un Mondial à domicile. Il y a dans Diego Costa quelque chose qui échappe à l’observation bienveillante, comme un doute permanent qu’il se plairait à entretenir dans nos esprits. On l’avait vu contre Paris, les bras pendants, le regard défiant son adversaire, ne prenant même pas la peine de nier le crime dont on l’accusait après avoir bousculé effrontément Marquinhos à la quatre-vingt-onzième minute. Comme les grands assassins qu’on n’arrive jamais à confondre, Diego Costa connaissait mieux la loi que ses juges et savait qu’on ne pouvait pas condamner un homme pour une mauvaise allure ou une mauvaise intention. Il fallait des preuves et la vidéo, en l’espèce, était irrecevable. Jamais il n’était pris en flagrant délit car c’était toujours hors du regard de l’arbitre, et devant celui de tous les autres, comme au catch, que tous ses forfaits étaient commis. Le pire chez Diego Costa c’est que pour réclamer justice, il nous force à devenir lâche et à le dénoncer. 


La main du diable

Pourquoi le salaud parfait est-il si révoltant ? Parce qu’il « se réfugie derrière la Loi quand il juge qu’elle lui est propice et la trahit quand elle lui est utile, écrit Roland Barthes. Tantôt il nie la limite formelle du Ring et continue de frapper un adversaire protégé légalement par les cordes, tantôt il rétablit cette limite et réclame la protection de ce qu’un instant avant il ne respectait pas. Cette inconséquence, bien plus que la trahison ou la cruauté, met le public hors de lui ». Un jour qu’il était encore à l’Atletico Madrid, on le vit cracher dans ses gants puis, dans un geste d’apparence affectueuse, caresser ensuite la joue de son adversaire direct -sans doute Sergio Ramos - de cette main maculée de sucs et de salive fraîchement expulsée. Son adversaire, stupéfait devant tant d’ingéniosité maléfique, avait hurlé au démon. Mais pouvait-on le condamner formellement pour « crachat » si c’était sa main qui avait été le vecteur de la transmission de fluide et non sa bouche ? Contre Paris, il avait su bousculer Marquinhos à l’exact moment où le juge avait le dos tourné. Tout le monde l’avait vu bien sûr, il le savait. Tous, sauf celui qui pouvait le juger. Le méchant idéal a le génie de l’observation et de l’opportunité. Mercredi soir on sut enfin pourquoi le diable, hiver comme été, à Madrid comme à Londres, portait toujours des gants noirs quand il sortait le soir. Pour ne pas laisser d’empreinte. 

http://www.sofoot.com/diego-costa-ou-la-beaute-du-diable-197517.html

Guardiola, éloge du style - sortie avril 2015



"Prologue 

Le procès Guardiola



Le 27 avril 2012, le jeune entraîneur catalan Pep Guardiola, qui avait été jusque là  le brillant chef d’orchestre de la plus grande équipe de ces vingt dernières années, décida de quitter prématurément le FC Barcelone, club qui l’avait formé jusque ici comme joueur, comme entraîneur et dont il dirigeait la première équipe depuis 2008, et à qui il vouait depuis son enfance une dévotion presque fanatique. Après une année entière à hésiter et quelques secondes avant d’annoncer publiquement sa décision à un amphithéâtre débordant de flashes et de caméras de télévision, Pep Guardiola s’assit en silence. Regardant tantôt devant lui comme vers un horizon imaginaire, tantôt vers le sol comme vers une dimension plus profonde, ses yeux inertes semblaient vidés de leurs rétines. Comme ces prévenus fatalistes qui connaissent déjà l’issue du procès auquel ils ont été convoqués et ne souhaitent pas se défendre des accusations portées contre eux, il ne dit rien ou presque."




mardi 23 décembre 2014

Pourquoi Cristiano va gagner le Ballon d'or



Si Cristiano Ronaldo doit remporter le prochain Ballon d’Or, ce n’est pas pour des raisons superficielles. Il y a longtemps que Cristiano Ronaldo n’est plus un homme. Ce trophée doit lui revenir, c’est une question de santé mentale.

C’est compliqué d’évaluer un homme. Il a beau, deux fois par semaine, s’exposer à l’examen de nos yeux avides, se remuer tant qu’il peut, étendre un peu plus à chaque rencontre l’éventail déjà très ouvert de ses qualités techniques, c’est dur de décider. On voyait bien comment il s’y prenait pour nous faire plaisir et tous les sacrifices qu’on devinait pour atteindre une telle exposition (il règne sur un royaume de 100 millions de fans sur Facebook), on l’encourageait même. Pour en arriver là, bien sûr, il avait payé le prix de la gloire et de l’ascèse que le sport de haut niveau suppose, pourtant quelque chose nous chiffonnait encore. À chaque apparition, c’est encore lui qui nous offrait des récompenses. Comme il n’était pas rockeur et qu’il ne pouvait pas nous faire cadeau d’une mélodie connue en fin de concert, Cristiano nous offrait quelque chose d’autre, des échantillons de génie. À chaque but marqué, comme d’autres dédient leur meilleur tube à un public déjà conquis, CR7 offrent toujours les mêmes secondes de célébration à déguster. Tournant le dos vers le public, il contracte les muscles et offre son nom et son numéro à tous les spectateurs, même les plus hostiles. Son talent n’est pas mesurable parce qu’il n’est pas exactement celui d’un footballeur. Son génie n’est pas strictement sportif. 

Le football ne suffit pas

Il ne faut pas admirer dans Cristiano la résistance physique d’un grand athlète ou l’intuition invisible d’un stratège napoléonien. S’il avait voulu uniquement être joueur de football, comme Zidane l’a été, comme Iniesta l’est encore, Ronaldo aurait choisi une autre discipline, peut-être le rugby ou le handball. On aurait alors admiré des vertus inattendues pour de tels sports mais qui auraient des qualités autrement plus footballistiques : dans le rugby il aurait eu la science de l’exploit individuel, dans le hand celle de la reprise de volée. On aurait salué cet artiste tout en lui reprochant de nier l’essence propre de son sport, de le pousser un peu trop loin. Mais c’est le propre du génie. Le talent  qu’il déploie se manifeste toujours aux limites de sa discipline, comme si son sport était trop petit pour le recevoir tout entier, comme s’il vivait à la marge de tous les autres amateurs et que, le temps d’un match, il offrait en partage à son public ces vertus uniques et prodigieuses pour venir à bout d’adversaires toujours plus exigeants, le talent de Ronaldo est beaucoup plus abstrait qu’une simple collection d’habiletés techniques. Le sport qu’il pratique n’est pas que le football, c’est un mélange de basket, d’athlétisme, de descente et de slalom. S’il fallait absolument le ranger dans une discipline, Ronaldo serait en fait un artiste silencieux qui ne disposerait que de son corps pour nous raconter des histoires. Il jouerait de la gravité et de la pesanteur de ses membres, comme d’autres du piano ou du violoncelle. Un jour ce serait un crochet, un autre un coup du foulard ponctué d’un clin d’oeil ou d’une reprise de volée spectaculaire. Cristiano ne joue pas, il danse.

Ronaldo en collants

Voilà pourquoi il y a toujours chez Cristiano quelque chose qui se refuse aux imbéciles, à ceux qui professent le bon sens poujadiste du foot qui paie, du collectif sur l’individu, du vrai artiste contre le charlatan, des choses utiles contre l’accessoire. «Quelle est la substance de Cristiano ?» se demanderaient-il. L’air, répondrions-nous. L’air c’est-à-dire le vide. Et Cristiano se suspendrait dans l’espace, jouerait en proposant des mouvements inattendus, des gestes qu’on n’aurait jamais imaginés (voyez cette reprise de volée en coup du foulard contre Cruz Azul). Le petit-bourgeois ricanerait comme il l’avait fait devant le Sacre du Printemps, devant les ballets de Béjart ou de Marta Graham. Devant le spectacle insupportable de la sensibilité et au nom d’un mystérieux bon sens artistique, le poujadiste ne se serait intéressé qu’aux collants «ridicules» des danseurs, qu’aux mouvements  «empruntés» et «anti-naturels» proposés par le chorégraphe, plutôt que de se laisser porter par l’esthétique d’ensemble et remué par les émotions qu’elle provoquait. En réalité ce qu’ils aiment, les poujadistes, c’est tout ce qui leur ressemble. Ils s’inventent des remises de prix inutiles pour le seul plaisir de ne récompenser que ceux qui ne sont pas différents d’eux, de leurs aspirations ridicules, de leur médiocrité quotidienne «toute la mythologie petite-bourgeoise, écrit Barthes, implique le refus de l’altérité, la négation du différent, le bonheur de l’identité, l’exaltation du semblable». Ils ont donc une idée très précise de ce qu’est le football. Celle de Cristiano est différente. Alors, bêtement, ils ricanent.

La fin de l’histoire

Car pour eux le vrai foot, celui de toujours, celui qui mérite qu’après Yachine, un autre gardien de but soit «enfin» récompensé (le poujadiste a une vision téléologique du Ballon d’Or car son époque est toujours la dernière et après lui, bien entendu, arrivera le déluge). Au fond, ils en sont persuadés, si leurs ancêtres n’avaient jamais honoré Zoff, Meier, Kahn, Lama, Schmeichel, van der Sar, c’est qu’ils étaient un peu idiots. Voilà le drame, pour Ronaldo, de cette grande élection aux enjeux minuscules. C’est l’unique jour dans l’année où ceux qui n’étaient jamais parvenu à l’arrêter sur le terrain, dans les tribunes ou dans les souvenirs, ceux-là même dont il se moquait quand il battait tous leurs records, allaient pouvoir donner libre cours à leur ressentiment et prendre leur revanche dans les urnes. Ils attendaient ce moment depuis de longs mois. Avoir le plaisir de le voir s’agiter devant eux au moment des votes, quémander leurs honneurs, réclamer leur attention, c’était le cadeau de Noël des eunuques. L’élection du Ballon d’Or est le seul moment de l’année sportive où le destin du plus fort dépend de la volonté de tous les autres. Qui protègera donc le fort contre ces faibles ? Qui osera reconnaître dans ce joueur l’exceptionnelle régularité dans les performances, l’exemplaire éthique sportive et la volonté inébranlable d’être toujours indispensable ? Le football de Ronaldo est d’une profondeur inaccessible au bien-pensant. En exigeant le Ballon d’Or pour cet homme on ne mettra ni les rieurs, ni les bourgeois de notre côté, certes, mais on rendra grâce à la plus belle des qualités, l’intelligence.



mercredi 10 décembre 2014

Le Real dans l’espace



Après dix-neuf victoires consécutives, le Real Madrid d’Ancelotti évolue désormais dans une galaxie très éloignée de celle de tous les autres. Là où il vit, il ne se contente pas de se promener dans l’espace. Il fait mieux, il le crée. 

La meilleure façon de voyager dans l’espace c’est de s’assoir dans un gros fauteuil en cuir noir légèrement usé aux accoudoirs, de détendre les membres inférieurs, et de s’installer devant un Real Madrid-Celta, un Real Madrid-Ludgoretz ou un Real Madrid-n’importe qui. Peu importe, ce sera toujours le même film qu’on regardera. Comme les autres avant lui, ce Real-Ludgoretz réserva, mardi soir, son lot d’émotions esthétiques à tous ceux qui avaient pris le temps d’admirer les étoiles et d’écouter le silence éternel de l’infiniment grand. Les explorateurs du jeu ont dégusté ce Real comme les autres les premières minutes de valse de 2001, Odyssée de l’espace. Il ne fallait pas nous déranger quand Isco ou Kross contrôlaient le ballon à 35 mètres de leur but. Parce qu’on savait que c’était à ce moment précis, juste avant d’envoyer le projectile loin devant eux dans les espaces libres de l’autre côté du terrain, que la musique de Strauss allait retentir. Nos casques (audio) sur la tête on était prêt à entamer le grand voyage. Comment donc avoir peur de l’infiniment grand quand nos vaisseaux spatiaux sont pilotés par Toni Kross et Isco ? Comment ne pas être émerveillé par ces constellations quand notre astre solaire s’appelle Cristiano Ronaldo ?

Administrer le néant

Comme Kubrick en 1968, Ancelotti nous fit à son tour aimer l’espace vide quand il choisit un jour d’organiser son équipe en fonction de la dimension du terrain à couvrir plutôt que la distance qui la séparait du ballon. Quand certains comme le Barça, l’Ajax, le Rayo ou le Bayern s’organisent en fonction de la position du ballon, c’est-à-dire que c’est chez eux la possession qui donne l’ordre à suivre et organise le positionnement des joueurs, le Real d’Ancelotti, lui, ressuscite le Milan de Sacchi devant nos yeux d’adolescents émerveillés. Comme son maître vingt ans plus tôt, Ancelotti a décidé, plutôt que de courir dans le vide à force de poursuivre un ballon devenu insaisissable, de regarder le vide en face et d’y sauter la tête la première. Contrôler l’espace plutôt que de s’épuiser à l’occuper. Administrer le néant plutôt que de s’y perdre tout entier. Changer les distances plutôt qu’arriver toujours en retard. «La clé de tout, enseigne Sacchi, c’est ‘l’équipe courte’» c’est-à-dire, une distance très courte entre la ligne d’attaque et la ligne de défense «c’est ce qui nous permet de ne pas dépenser trop d’énergie, d’arriver en premier sur le ballon, de ne pas nous fatiguer. C’est ce que je disais à mes joueurs, si nous jouons avec 25 mètres entre le dernier défenseur et l’attaquant de pointe, compte tenu de nos qualités, personne ne pourra nous battre. Ainsi, l’équipe bougeait comme une unité de haut en bas et de droite à gauche».  

Les étendues silencieuses

Il fallait les voir, Isco mardi soir ou James Rodriguez samedi dernier contre le Celta, s’installer au milieu du milieu et attirer vers eux tous les ballon. Pas besoin d’être agressif, d’aller au contact, de s’imposer dans les duels, comme disent les pragmatiques, pour récupérer des ballons. Pas besoin d’être grand, d’être fort, pour ratisser large. Juste être bien installé dans les interstices, être là où il faut, quand il faut. Depuis que ce Real a reporté au collectif le soin d’asphyxier ses adversaires, les ballons gagnés tombent comme des feuilles mortes sans qu’on ait besoin d’aucun ouvrier spécialisé pour les ramasser. Khedira maintenant au chômage, Isco est devenu le meilleur jardinier du monde. On reconnaîtrait le Real de Mourinho si dans le même temps Ronaldo n’était pas aussi mobile sur toute la largeur du terrain, si Isco, James ou Bale ne se repliaient pas aussi efficacement et ne réduisaient pas autant le vide dans leur dos. Là où les phases de transitions mourinhiennes frôlaient le stéréotype (Khedira pour Özil, Özil pour Ronaldo dans l’espace, fixation de Benzema, but de Ronaldo) la grandeur du Real d’Ancelotti réside dans la gestion virtuose des étendues silencieuses : dans le dos de la défense (amoindrissement systématique des superficies en jouant assez bas et resserré) et dans la moitié de terrain adverse (attirer l’adversaire pour créer les espaces nécessaires aux futures incursions). L’étendue vide qu’il fallait remplir d’automatismes chez Mourinho est devenu le champ d’exploration idéal et infini d’une quantité innombrables de variations. Ancelotti nous fait aimer le vide.

Vivre en l’air

C’est ce qui distingue le Real d’Ancelotti de tous les autres, cette façon virtuose mais désinvolte de mener la conquête des espaces. Quand le Milan des années 90 s’installait sérieusement autour de la ligne médiane et asphyxiait ses adversaires très tôt dans leur phase de construction, le Real d’Ancelotti, lui, choisit aujourd’hui de reculer pour créer, organiser artistiquement le terrain devant lui. Ainsi, plutôt que de tendre bien académiquement le piège du hors-jeu en plaçant sa ligne de défense très haut - au risque de se priver de mètres utiles pour les courses folles de Bale ou Ronaldo vers l’avant après récupération - le Real d’Ancelotti descend d’une bonne dizaine de mètre sa ligne défensive. Et alors, bien installé à 35 mètres de ses buts et à 5 mètres les uns des autres sans quasiment aucun milieu défensif pur (c’est la différence essentielle avec Mourinho), il fait mine de laisser jouer son adversaire, de lui redonner un peu d’espoir, exactement comme ces chats qui laissent les souris remuer encore quelques instants devant eux, pour mieux les attirer dans leur piège et les achever d’une morsure fatale. Les ballons tombés alors dans les pieds d’Isco, de Kross ou d’Illaramendi sont immédiatement propulsés vers les comètes Ronaldo, Bale et Benzema qui se chargent à eux trois (plus un autre, au choix) de dessiner des constellations provisoires dans les vides de la défense adverse. Les chiffres parlent et ils sont cruels pour les sceptiques : à peine trois petits hors-jeux très bas sifflés contre Ludgorets hier soir mais 21 interceptions signalées et une vingtaine de passe d’Isco devant lui à Ronaldo (soit autant qu’à Kross, son partenaire dans le coeur du jeu). C’est dire comme le Real aime l’espace. C’est dire comme on vit heureux en apesanteur. 


lundi 24 novembre 2014

L’amour du risque


Depuis des années on s’arrache les cheveux. Nos clubs sont trop pauvres, nos supporters trop exigeants, nos stades trop petits. Ce triste Nice-Reims a réveillé un des vieux fantômes de la Ligue 1 : l’amour du match nul.

À Nice, c’est quand l’hiver est sur le point de commencer que débute véritablement la saison. Ville de villégiatures et de perdition des aristocraties européennes depuis la fin du dix-neuvième siècle, c’est quand l’automne est tombé sur le reste de l’Europe qu’elle recueille dans la douceur de son climat et la lumière de son soleil bienveillant, les visiteurs aux âmes fatigués et aux poches bien pleines. Le long de la promenade des anglais, ils se traînent d’un bout à l’autre de la baie des Anges, se risquant même parfois à fouler les galets irréguliers de cette plage installée en centre-ville. Et ce n’est qu’une fois le soleil couché, qu’ils arrivent enfin à destination. Après 15 kilomètres de déambulation au bord la baie coincée entre des hôtels de luxe et le ressac minuscule d’une mer aussi bleue qu’intrigante, ils s’installent enfin aux tables de jeux des casinos. C’est l’heure de miser leur date de naissance, de mariage ou de veuvage. L’ivresse n’est pas dans les gains, il est dans la mise. C’est ici, que samedi soir, dans la capitale de la Riviera française, les âmes les plus nostalgiques reconnurent immédiatement en cette affiche Nice-Reims, les traces d’un passé glorieux et une bonne raison de miser sur le football plutôt que les machines à sous. C’était les années cinquante bénies du football français, celles du Champagne, du Racing, de Vignal, de Justo, de Vic Nuremberg. Il n’était pas nécessaire d’avoir mille ans pour se rappeler qu’à cette époque l’OGC Nice et le Stade de Reims se disputèrent chaque saison pendant dix ans les titres de champion et la seule place française en Coupe d’Europe. C’était le temps où les ballons n’étaient pas toujours très ronds, où les chaussures filaient des ampoules quand elles étaient trop neuves, c’était le temps où Nice c’était le Real et Reims le Barça.

La faute à Footix

Les années glorieuses disparues depuis trop longtemps, ils sont nombreux désormais à en vouloir indistinctement à notre Ligue 1, à toutes ces taxes qui «étouffent» les clubs français, aux supporters qui ne consomment pas assez, à nos pelouses pas assez vertes, à ces Footix de ne rien y connaître, bref à toutes ces choses, à tous ces gens, qui empêchent le football gaulois de s’exprimer et de s’épanouir en Europe. Hier soir après avoir avoir fait perdre leur soirée à plusieurs milliers de personnes (0-0, on ne reviendra pas sur l’absence d’occasion, la multitude de fautes, l’indisposition du public), et plutôt que de reconnaître l’indigence de spectacle proposé, les joueurs ont tenu à défendre leur bilan face à ces spectateurs vraiment trop tatillons «On se fait siffler, alors qu’on est dixième. Ce n’était pas la culture du public du Ray, c’est peut-être celle de celui de l’Allianz» se permit même Alexy Bosetti, 21 ans. C’était donc la faute du nouveau stade si, après une heure de jeu passée à se précipiter, à rater des transversales, Claude Puel sortit ses deux attaquants les plus talentueux (Bosetti et Cvitanich) pour les remplacer par deux milieux en manque de temps de jeu (Albert puis Vercauteren). Ils peuvent toujours clamer qu’ils avaient voulu jouer «plus vertical», comme Puel marmonna à la fin de ce match, mais pendant 30 minutes à domicile, le Gym joua sans joueur offensif, c’est-à-dire sans ambition. 

Le Rayo en Ligue 1

Bien sûr, le Gym n’a que 40 millions d’euros de budget annuel à dépenser, il faut savoir profiter des choses simples, d’un point récolté ici ou là et, quand le printemps arrivera, se sauver héroïquement de l’enfer aux dernières journées. Bosetti d’en rajouter «On n’est pas le Real Madrid». Certes, mais l’ambition est-elle une question d’argent ? Combien faut-il de zéro alignés sur un compte bancaire pour aimer se passer le ballon, prendre des risques, réchauffer le public clairsemé un samedi soir d’automne ? Les nouveaux stades se rempliront-ils à coup de réalisme grognon ? S’il suffisait d’augmenter les budgets pour être ambitieux, le championnat espagnol aurait disparu depuis longtemps et le Rayo Vallecano (12ème de la Liga avec 7 millions d’euros de budget l’an passé, 14 cette année) ne serait pas l’équipe européenne qui, derrière le Barça et le Bayern, bénéficie des meilleurs statistiques de possession et d’occasions générées. Il n’y a que les pauvres, les vrais, qui ont le droit de donner des leçons d’ambition, pas les tièdes. Paco Jemez, entraineur du Rayo à 500 000 euros annuels nets (soit moins de la moitié de Puel) «c’est la première fois dans le football moderne qu’un club a un budget aussi réduit que le nôtre, mais bon... L’idée qu’on a essayé de mettre dans la tête de nos joueurs c’était qu’ils ne croient rien de ce qu’on dit d’eux au-dehors. Tout le monde disait qu’on serait les premiers à descendre en D2. Si on l’avait cru, on serait descendu. Notre grande réussite c’est de nous fixer nous-même nos objectifs et voir jusqu’où nous sommes capables d’aller. Voilà pourquoi tout le monde a bien fonctionné : personne n’a cru que nous avions le plus faible budget.»

Apprendre à perdre

À force de répéter qu’il vaut mieux ne pas gagner plutôt que de perdre et se «contenter, avec Puel, d’un point pris dans l’adversité» à domicile, plutôt qu’un match à la hauteur de l’histoire glorieuse de ces deux monuments du foot gaulois (aucun 0-0 entre ces deux clubs en 50 ans de confrontations) on finira peut-être un jour par se sentir coupable d’aimer autant le risque. Quand ces tristes jours arriveront sur la Riviera, on soignera cette mélancolie au Palais de la Méditerranée. Entre deux machines à sous, on y retrouvera Paco Jemez jetant ses derniers jetons dans la fente. Pour nous convaincre de miser sur nos derniers espoirs, il nous parlera probabilités avec des exemples de foot « C’est ce que je dis à mes joueurs : les matchs nuls ne servent absolument à rien ! Si le match termine par un nul, je suis aussi dégoûté qu’après une victoire. L’an passé nous avons terminé avec 4 nuls et l’année précédente avec 3 nuls. Les joueurs le savent : le jour où nous faisons 12 nuls, on descend en D2.» Pour se sauver à tous les coups, il faut miser sur 13 victoires en 38 matchs (dont 19 à domicile). Point. Alors, samedi soir, comme pris de remords au moment où le quatrième arbitre annonçait 4 minutes de jeu supplémentaire, et après avoir gaspillé 30 minutes de jeu en 4-4-2 contre une équipe de Reims inoffensive, Puel fit entrer son second fils, Paulin, en attaque. Évidemment, ce match indigne de l’histoire de cette ville se conclut par l’inévitable colère du public niçois lassé de tant de prudence. Les vieux nissarts du Ray (et du Palais de la Méditerranée) le savent bien; pour être ambitieux nul besoin d’être le Real Madrid. Commençons par être le Rayo Vallecano. Pour Puel, c’est déjà énorme.