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lundi 14 juillet 2014

À l’ombre des héros

Lundi 14 juillet 2014
Argentine-Allemagne (finale)
Victoire allemande




La Coupe du Monde 2014 c’était hier. Il est temps de plonger dans notre mémoire et d’organiser toutes ces images pour ne pas trop en oublier. Les souvenirs de la finale de la Coupe du Monde 2014 reposent sur les étagères les plus précieuses de notre mémoire, celles de notre enfance. 

Ce Mondial vient d’entrer dans le coffre de nos vieux souvenirs d’enfants. Quelques heures étaient passées mais il semblait déjà que ce fût un siècle qui nous séparait du bon temps. C’était hier et c’était déjà il y a des années. Quatre ans c’est interminable quand on est encore un enfant. Noël est toujours dans trop longtemps et les grandes vacances de fin d’année sont toujours trop courtes. Patienter de septembre à juin nous était impensable tellement la durée qui nous séparait de la fin de l’année semblait infinie. Il allait se passer tellement de choses désagréables avant qu’on soit tranquille : le premier, le deuxième, le troisième trimestre, les moyennes, les féloches, les avertos. Il y aurait tellement de devoirs à rendre qu’on était même prêts à renoncer aux grandes vacances pourvu qu’on évitât ainsi les problèmes de maths et les dictées. Quand on est enfant le temps ressemble à un océan infranchissable rempli d’interros surprises et de contrôle de maths. On en finit jamais de toutes ces leçons à apprendre, de toutes ces épreuves qu’on nous inflige. Alors imaginez un peu, quand, après quatre ans d’épreuves, juste au début des vacances d’été, arrivait un Mondial... L’évènement prenait tout à coup une importance mythologique. 

Elle s’appelait Sophie, Delphine ou Déborah

On se souvient de son premier mondial comme de sa première amoureuse. On se souvient très clairement que c’est elle qui nous avait emmené derrière ce platane et que c’est elle aussi qui nous avait pris la tête à deux mains et nous avait embrassé la première. Au début on avait trouvé cela un peu dégueu mais, après quelques secondes passées à tourner la tête comme dans les films, on avait fini par succomber à sa maîtrise de l’art de la galoche. Elle s’appelait Sophie, ou Delphine ou Déborah. On ne souvient plus vraiment de son prénom. Mais il y a une une chose dont se rappelle très bien. Il faisait très chaud et c’était la Coupe du Monde en Italie. Oui voilà, c’était en 1990, la France n’était pas qualifiée mais à vrai dire, on s’en fichait un peu, on ne savait pas ce que voulait dire la France en Coupe du Monde. On n’avait pas encore été champion du monde. Cette année-là nos héros s’appelaient Gary Lineker, Chris Waddle, Carlos Valderrama, Roger Milla, Toto Squilaci et Diego Armando Maradona. On ne savait pas où était la Colombie ou le Costa Rica, on n’avait jamais entendu parler de Maracanazo, du match de la honte ou de France-RFA 82, mais on savait que la finale se jouerait à Rome et on avait absolument tout regardé pour être sûr de ne jamais rien oublier. Même les prolongations, alors que c’était l’heure d’aller dormir. Même la finale Allemagne-Argentine, alors qu’on n’était même pas pour eux. C’était le match d’il y a 24 ans. Et c’était aussi celui d’hier.

Avoir 10 ans pendant un Mondial

De quoi se souviendront les petits qui ont regardé le Mondial pour la première fois cette année ? Il y en avait plein les tribunes de Belo Horizonte pour Brésil-Allemagne en demi-finale. Ils pleuraient comme si leurs parents les avaient abandonnés au milieu d’un centre commercial, comme si Neymar avaient été capturé par d’étranges monstres venus du ciel et l’avait emporté très loin d’ici. Quand on a 10 ans on sait ce que c’est que d’avoir le coeur brisé. Plus tard on prendrait un air attendri en riant de tous ces motifs futiles qui comme eux nous avaient fait pleurer à l’époque. Mais à l’instant de l’enfance, toutes ces éliminations et tous ces drames sportifs, semblent insurmontables. Quand on a 10 ans, notre imagination n’est pas assez vaste encore pour se figurer que, quatre ans plus tard, la même compétition se reproduirait et qu’il sera alors temps de prendre sa revanche. Il n’y a que les grands qui se consolent en parlant de patience. Ils s’imaginent que quatre années à attendre ce n’est pas si grave. Mais quand on a 10 ans et que son équipe vient de perdre 7-1 devant ses yeux, tout est beaucoup trop grave. Une peine d’enfant est toujours inconsolable 

Du côté de chez Kroos

Notre imagination est «comme un orgue de barbarie détraqué qui joue toujours autre chose que l’air indiqué» (M. Proust, Du côté de Guermantes). Pour profiter de la beauté de cette mélodie déglinguée il faut apprendre à s’éloigner de tous ces résumés et toutes ces images qu’on impose à notre mémoire. On ne résume pas son enfance en un clip de 2’30. Pour se souvenir correctement il faut se laisser aller à la rêverie. Apprendre à flâner dans le monde des sensations passés. Dans 4 ans, dans 8 ans, dans 12 ans, aucun résumé n’en parlera, mais on n’aura certainement pas oublié la façon religieuse dont Toni Kroos, le joueur allemand au visage de premier communiant, posait son ballon sur la pelouse. Il le laissait sur le tapis vert  au pied d’un poteau de corner comme il l’eût fait d’une offrande au pied d’une Sainte Vierge imaginaire. Il est impossible d’oublier cette façon d’entamer cette course d’élan; quelques petits pas rituels pour entonner le rythme qu’il faut, les yeux fixés sur le cuir et la tronc quasi immobile, il amorçait trois pas et frappait la balle comme on eut donner une tape dans le dos à un copain un peu timide dans une cour de récré. Sans lui on n’aurait pas osé abandonner la partie de foot sur le bitume pour se retrouver seule avec une fille qui se serait sans doute appelée Sophie, Delphine ou Déborah. On n’aurait pas voulu être démasqué. 

L’art de l’hypoténuse

L’élégance de Toni Kroos est un souvenir délicat qu’il faudra soigner comme on soigne encore les récits de nos meilleurs chahuts en cours de maths. La courbe du ballon frappé par le joueur allemand, ressemblait à ces longues leçons de géométrie où, avec nos équerres, nos rapporteurs et nos compas, nous découvrions les sonorités étranges de la terminologie scolaire : théorème de Pythagore, géométrie euclidienne, quadrilatère et triangle isocèle. «Dans un triangle rectangle, le côté opposé à l’angle droit est l’hypoténuse». On l’avait souligné en rouge pour ne pas oublier d’apprendre cette phrase de retour à la maison. Toni Kroos était ce camarade sage et appliqué qui savait dessiné des angles droits sans règle ni équerre. Sur ce corner à la 46ème minute, le ballon était suffisamment bien brossé pour tomber juste devant la cage de Romero tout en se maintenant, grâce à cet effet indéchiffrable, à une distance inaccessible aux mains du gardien. Il n’y avait qu’à entrer dans la balle pour provoquer l’intersection de la trajectoire du ballon avec la ligne de but. Tandis que Toni Kroos venait de ressusciter le charme perdu de l’hypoténuse, nous découvrions à nouveau la beauté nostalgique des triangles rectangles de notre enfance. À la 47ème minute, Höwedes frappait le montant gauche de Chiquito Romero. Sur un coup de crayon, l’Allemagne aurait pu être championne du monde, comme en 1990. 

Le monde selon Higuaín

Mais nous qui avions l’expérience des finales de Coupe du Monde - on en avant vu déjà six ou sept - on savait très bien qu’on ne marquait pas un but dans un tel match en toute impunité. Aussi facile que la conclusion d’une action eût pu sembler, un face à face inattendu avec un gardien lors d’une finale est une épreuve initiatique dont seul le héros exemplaire sortira sauf. C’est peut-être ce qui est arrivé à Higuaín à la dixième minute quand, surpris par une passe en retrait manquée, il se trouva seul devant Neuer. La passe involontaire avait suivi une courbe parfaitement hyperbolique au-dessus de Hummels et tomba exactement dans les pieds de l’Argentin. À la finesse du trait on reconnut immédiatement que Kroos en était encore le dessinateur. Même quand elles se trompaient de sens, ses lignes étaient fines et harmonieuses. Dans n’importe quel autre match Higuaín aurait contrôlé, attendu que le gardien sortît du but et marqué avec classe et sang-froid. Dans n’import quel match, mais pas dans celui-là.

La malédiction bretonne

Hier soir, juste au moment de frapper, il avait vu sa vie défiler devant ses yeux. Un but en finale de coupe du monde est quelque chose d’inégalable et dont il faut se montrer digne tout le reste de sa vie. Il faut avoir suffisamment de vanité pour s’imaginer être à la hauteur d’une telle destinée. La peur de marquer, c’est la peur de ne plus jamais être à la hauteur du souvenir que les autres auront de vous. C’est toujours rappeler à la moindre de vos hésitations que si vous aviez marqué ce fameux but en finale de coupe du monde, c’était la chance qui en était l’auteur, pas votre talent. Ce que les autres pensent être une bénédiction est en réalité un fantôme avec lequel il allait falloir composer jusqu’à la fin de votre existence de buteur maudit. Stéphane Guivarc’h, breton de naissance comme Higuaín, vivait tranquille depuis ses deux échecs en finale de 98. Il avait su avant les autres que le seul capable de montrer plus tard à la hauteur de deux buts marqués en finale de coupe du monde, c’était Zizou, pas lui.

Marquer les esprits

Voilà pourquoi Palacio manqua à son tour son face à face. La mémoire collective n’aurait jamais accepté qu’il fût l’auteur du but qui donnât le trophée au vainqueur. Pour avoir le droit d’entrer dans les mémoires il faut la vanité des génies. Il faut être Burrachaga, Brehme, Zidane, Ronaldo, Iniesta ou Götze pour ne pas sentir sa colonne vertébrale vibrer au moment de se présenter seul devant le but. «Quand Cesc Fabregas me passe le ballon, je sais exactement ce que je vais faire et je sais que je vais marquer», Iniesta le savait en 2010 comme Brehme en 90, Zidane en 98, Ronaldo en 2002, Iniesta en 2010, Götze en 2014. Schürrle s’enfonça sur le côté gauche, centra au premier poteau et, plutôt que de se précipiter comme l’aurait fait tous les autres mortels, il leva la tête, bomba le torse et contrôla de la poitrine. C’est à ce moment précis qu’il sut exactement ce qui allait arriver ensuite. Il marqua d’une reprise du gauche et au moment de célébrer son but, n’eut même pas l’air surpris. Il venait d’inscrire un but qu’on oublierait jamais et était fier de lui. C’est dire comme il méritait d’être immortel. 

La victoire de l’expérience

Quand le ballon franchit la ligne à la 112ème minute, notre expérience nous dit que le match était fini. Il fallait être un gosse pour croire qu’il y aurait le temps de remonter le score puis de jouer une séance de tir au but. Si les gamins étaient prêts à jouer une finale aux penalties c’est parce qu’ils n’avaient pas connu 1994 et 2006. Mais nous, nous avions grandi et nous avions vu Baggio et Trézéguet. Nous savions qu’il valait mieux en rester là. L’Argentine avait quelques regrets mais l’Allemagne semblait avoir mérité sa victoire. Oui, quand on est grand on se met à calculer et à évaluer le degré de justice d’une victoire sur une autre. Quand on est grand on se dit que l’Allemagne est bon vainqueur parce qu’elle avait proposé du jeu, su s’adapter, souffrir et patienter. La victoire de l’Argentine eût été belle mais peut-être la tristesse allemande nous aurait semblé trop inconsolable après autant de finales et demi-finales perdues depuis 1996. Hier soir nous étions heureux de ne pas être un petit argentin de 10 ans qui, à force d’en entendre sur 86 et 90, avait fini par regretter de ne pas être  plus vieux.

La résurrection de l’enfance


Aujourd’hui le Mondial est terminé. Nous avons refermé la chambre-forte du musée imaginaire qui maintient les plus belles images de note vie à l’abris des intempéries et des résumés intempestifs. Elle sont disposées ici, juste à côté de nos premières amours, de nos premières fois et de nos souvenirs de vacances. Dans quatre ans nous ouvrirons à nouveau la porte pour constater comme le temps aura fait son travail et se sera chargé d’effacer les strates qui ne méritaient pas d’être conservées plus longtemps. Nous nous promènerons à nouveau dans notre mémoire et, à l’ombre des héros de notre enfance, nous nous laisserons aller à la nostalgie. C’était l’Italie en 90, les Etats-Unis en 94, le Japon en 2002, l’Allemagne en 2006, l’Afrique du Sud en 2010 et le Brésil en 2014. Le Mondial, c’était notre enfance qu’on ressuscitait tous les quatre ans. Le Mondial c’était hier.

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