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vendredi 29 mai 2015

Diego Costa ou la beauté du diable



Est-ce un sacrilège de faire l’éloge de Diego Costa ? Cet homme est peut-être le méchant le plus réussi depuis le serpent. C’est à lui qu’on doit le piment et l’aigreur. C’est à lui qu’on doit la révolte de Paris. La fonction de Diego Costa est exactement celle de son double, le diable.

Combien d’heures devront encore passer avant qu’on oublie enfin son visage ? Quand chacun on aura conté déjà plusieurs fois le goût aigre de ces interminable minutes à guetter la récompense de notre tempérance et notre obstination, que restera-t-il de ce match dans notre mémoire, quel est celui qui survivra à l’oubli ? On avait aimé les trente premières minutes à en mourir, c’est certain, on avait deviné un Pastore virevoltant dans les milieux adverses prenant à la gorge le dragon anglais et le poignardant, centimètre par centimètre, jusqu’à bientôt le rendre à ses 10000 ans de disgrâce. Le talent et la beauté nous débarrasserait enfin des ombres et des malédictions. Enfin allait-on assister au triomphe européen qu’on attendait depuis deux saisons, celui qui prouverait enfin au monde que Paris était bien la ville de l’avant-garde et de la contestation. Matuidi, Veratti et Motta, plantés en cerbères intraitables du jeu parisien, veillaient sur le ballon et nos destinées fragiles. Ils allaient voir, les anglais, ce que jouer avec le feu veut dire. Notre Dragon presque terrassé, nous tenions enfin notre épreuve initiatique.

Les ailes bleues

Mais l’expulsion d’Ibra est arrivée et le panorama en fut bouleversé. C’est alors que l’Adversaire, celui qui ment, qui triche, qui sourit quand on l’accuse, celui qui ignore la honte et le déshonneur reprit des forces et se gonfla à nouveau de cet orgueil insupportable. Il avait le dos courbé, la lippe humide, les yeux noirs et la démarche d’un ange aux ailes bleues et rognées, comme dans le tarot de Marseille. Quand Diego Costa tombait au sol, il avait toujours le sourire satisfait qu’a Satan dans les sculptures moyenâgeuses, cette façon d’en savoir beaucoup plus sur l’âme humaine que n’importe quel philosophe aux moeurs irréprochables. Il a toujours envie de rire, le Malin, quand il nous regarde nous obstiner à nous refuser à lui, à ne jamais tomber dans ses pièges. Vers la soixante-douzième minute, quand il avait tendu évidemment trop fort la jambe et taclé - par derrière bien sûr - le capitaine irréprochable et impassible Thiago Silva, on ressentit tout ce que les prophètes avait enduré avant de triompher du mal. L’arbitre de ce match lui tendit un carton jaune dérisoire, comme si avertir le Diable avait un sens, comme si le menacer d’exclusion suffisait à le soumettre. Diego détourna les yeux d’un sourire narquois. Même l’arbitre avait succombé.

Devenir délateur

Diego Costa n’est jamais à court d’apparences. Il prend parfois le tour inoffensif d’un vieillard cacochyme dont la démarche étrange donnait à ses gestes réalisés dans les surfaces adverses les allures de miracles. Comment tenait-il debout en dépit de ses jambes si menues, de ces pieds si écartés ? Comment supportait-il à chaque match d’être la cible d’autant de défenseurs cruels et furieux ? On ressentait parfois de la pitié, il faut le dire, pour ce brésilien qui avait choisi l’Espagne l’année où son pays de naissance, le Brésil, lui offrait le privilège de jouer un Mondial à domicile. Il y a dans Diego Costa quelque chose qui échappe à l’observation bienveillante, comme un doute permanent qu’il se plairait à entretenir dans nos esprits. On l’avait vu contre Paris, les bras pendants, le regard défiant son adversaire, ne prenant même pas la peine de nier le crime dont on l’accusait après avoir bousculé effrontément Marquinhos à la quatre-vingt-onzième minute. Comme les grands assassins qu’on n’arrive jamais à confondre, Diego Costa connaissait mieux la loi que ses juges et savait qu’on ne pouvait pas condamner un homme pour une mauvaise allure ou une mauvaise intention. Il fallait des preuves et la vidéo, en l’espèce, était irrecevable. Jamais il n’était pris en flagrant délit car c’était toujours hors du regard de l’arbitre, et devant celui de tous les autres, comme au catch, que tous ses forfaits étaient commis. Le pire chez Diego Costa c’est que pour réclamer justice, il nous force à devenir lâche et à le dénoncer. 


La main du diable

Pourquoi le salaud parfait est-il si révoltant ? Parce qu’il « se réfugie derrière la Loi quand il juge qu’elle lui est propice et la trahit quand elle lui est utile, écrit Roland Barthes. Tantôt il nie la limite formelle du Ring et continue de frapper un adversaire protégé légalement par les cordes, tantôt il rétablit cette limite et réclame la protection de ce qu’un instant avant il ne respectait pas. Cette inconséquence, bien plus que la trahison ou la cruauté, met le public hors de lui ». Un jour qu’il était encore à l’Atletico Madrid, on le vit cracher dans ses gants puis, dans un geste d’apparence affectueuse, caresser ensuite la joue de son adversaire direct -sans doute Sergio Ramos - de cette main maculée de sucs et de salive fraîchement expulsée. Son adversaire, stupéfait devant tant d’ingéniosité maléfique, avait hurlé au démon. Mais pouvait-on le condamner formellement pour « crachat » si c’était sa main qui avait été le vecteur de la transmission de fluide et non sa bouche ? Contre Paris, il avait su bousculer Marquinhos à l’exact moment où le juge avait le dos tourné. Tout le monde l’avait vu bien sûr, il le savait. Tous, sauf celui qui pouvait le juger. Le méchant idéal a le génie de l’observation et de l’opportunité. Mercredi soir on sut enfin pourquoi le diable, hiver comme été, à Madrid comme à Londres, portait toujours des gants noirs quand il sortait le soir. Pour ne pas laisser d’empreinte. 

http://www.sofoot.com/diego-costa-ou-la-beaute-du-diable-197517.html

Guardiola, éloge du style - sortie avril 2015



"Prologue 

Le procès Guardiola



Le 27 avril 2012, le jeune entraîneur catalan Pep Guardiola, qui avait été jusque là  le brillant chef d’orchestre de la plus grande équipe de ces vingt dernières années, décida de quitter prématurément le FC Barcelone, club qui l’avait formé jusque ici comme joueur, comme entraîneur et dont il dirigeait la première équipe depuis 2008, et à qui il vouait depuis son enfance une dévotion presque fanatique. Après une année entière à hésiter et quelques secondes avant d’annoncer publiquement sa décision à un amphithéâtre débordant de flashes et de caméras de télévision, Pep Guardiola s’assit en silence. Regardant tantôt devant lui comme vers un horizon imaginaire, tantôt vers le sol comme vers une dimension plus profonde, ses yeux inertes semblaient vidés de leurs rétines. Comme ces prévenus fatalistes qui connaissent déjà l’issue du procès auquel ils ont été convoqués et ne souhaitent pas se défendre des accusations portées contre eux, il ne dit rien ou presque."