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samedi 27 septembre 2014

Ancelotti, l’entraîneur en plastique



Il aurait pu hurler, partir, claquer la porte, écrire un livre et en vouloir au monde entier. Mais plutôt que de faire un scandale à la fin de l’été, Carlo Ancelotti a préféré se taire et s’adapter. Mais de quel bois est fait Ancelotti ? 

Voyez comme ils crient, comme ils font de grands gestes et comme ils sifflent dans leur doigts. À leurs visages rougis et à la forme des auréoles qui se dessinent sous leurs bras, on devine un fossé toujours plus profond entre ce que qu’ils voient et ce qu’ils auraient voulu voir. Seuls dans leur zone technique, c’est-à-dire seuls au monde, ils font des dizaines de pas pour aller hurler des consignes inaudibles à un milieu de terrain trop dispersé, à un attaquant trop désinvolte. La cravate dénouée et devant le peu de cas que leur font leurs soldats, ils se rabattent finalement sur leur aide de camp, le latéral droit, le seul soldat qui est toujours à portée de voix, à portée de balle. Tant pis pour lui, il souffrira pour les autres. Si aucun entraîneur n’a jamais gagné un match seul c’est parce qu’aucun entraîneur n’aura jamais le droit d’enfiler un maillot pour aller lui-même se substituer à ce pivot défaillant, à cet ailier étourdit. Quand les lumières des caméras sont sur eux, ils ressemblent à ces insectes noctambules qui prennent la lumière des néons pour celle de la Lune. Et la lumière une fois éteinte, ils font semblant de tout contrôler et nous de tout comprendre. Nos ampoules sont leur clarté, leurs vessies sont nos lanternes.   

Polysémie et Polyuréthane

Bien sûr parfois ils gagnent, alors on se dit qu’ils doivent bien y être pour quelque chose, les moustiques. Maintenant qu’on vit au temps des entraînement à huis-clos et des murs de béton autour des terrains d’exercice, ils ne nous reste que des matchs en replay et quelques conférences de presse pour séparer le bon grain de l’ivraie, pour tâcher de comprendre quelque chose aux énigmes tactiques proposées tous les trois jours, pour confondre le héros et le charlatan. Avec Carlo Ancelotti, tout est plus compliqué. Il fait si peu de gestes au bord de la pelouse qu’on se demande réellement ce qu’il dirige. Comment ? Un entraîneur qui ne sait même pas siffler ? Qui reste les mains dans les poches ? Qui discute avec ses voisins, bien installé dans son siège baquet au lieu de s’en prendre au quatrième arbitre ? Même Sacchi parfois s’énervait, même Mourinho, même Guardiola, tous communiquent avec le terrain, tous gigotent, tous finissent toujours par s’énerver. S’ils ne dirigent pas, au moins, ils ont l’air de diriger et ça nous suffit largement. Pire encore, quand on lui supprime Özil, qu’on lui colle Bale, qu’on lui enlève Alonso ou qu’on lui administre un James Rodriguez ou un Navas, il ne se plaint même pas. Quand, par hasard, il prévient qu’il n’a pas besoin d’un attaquant supplémentaire (pour ne pas vexer le chat Benzema), on lui colle un Chicharrito dans les pattes. Et lui ne dit rien, encaisse, réfléchit, s’adapte. Et à la fin de la saison, gagne la Ligue des Champions.

Polyvalence et Polystyrène

Au lieu de s’énerver quand les chiens en veulent à l’absence totale de logique sportive du recrutement du Real et qu’ils agitent le foulard de Makélélé en 2003 pour dire adieu à Özil ou à Xabi Alonso, il préfère inventer lui-même le joueur dont il a besoin. Ainsi l’an passé, le petit ailier foufou Angel Di Maria, qui par miracle n’avait pas quitté le club, se transforma tout à coup en cet intérieur génial qui manquait à l’effectif. Aux côtés de Modric et Alonso, on n’avait pas vu milieu plus intelligent depuis la Quinta. Quand les imbéciles s’imaginent que dans les grands clubs il faut «doubler tous les postes», comme si un joueur professionnel était un ouvrier spécialisé enchaîner à sa chaîne de montage, Carlo (et Guardiola, et Sacchi, et Michels, et Van Gaal) lui, fait exactement l’inverse. Plutôt que de rendre tous les joueurs substituables, ils les rend tous indispensables. Il leur apprend à aimer d’autres responsabilités. Voilà comment Di Maria put évoluer à la fois ailier gauche, intérieur ou même «mediapunta» comme ils disent en Espagne, c’est à dire dans l’axe, juste derrière le ou les attaquants. Voilà comment Isco, l’enfant sauvage de Malaga, est en train de devenir le métronome du milieu madrilène. Certes contre Elche, mardi dernier, il perdit quelques ballons en tâchant d’accélérer le jeu à 40 mètres, mais il fut très rarement hors du tempo, rarement loin de Cristiano. Il sut donner parfois de la pause, parfois de l’accélération et puis créer de l’espace devant lui. On aurait dit Maria.

Polymorphisme et Polyéthylène

L’autre miracle de mardi et peut-être le plus beau, ce fut Asier Illaramendi, joueur le plus influent du match selon Opta mais aussi selon ceux qui l’avaient vu l’an passé se prendre les pieds dans Xabi Alonso. Le joueur qui a évolué hier en 4, c’est-à-dire en administrateur juste devant la défense, n’a plus rien à voir avec ce gamin angoissé qui ne donnait des ballons qu’aux latéraux il y a quelques mois. Mardi on l’a vu réaliser ce qui est le plus difficile à ce poste : tirer des passes en diagonales à travers les lignes adverses (plus de 50 passes vers l’avant dont quelques vrais caviars vers James et Ronaldo). Modric n’eut même pas besoin d’entrer faire le pompier au milieu, le grand Asier se débrouillait très bien tout seul. Alors on peut toujours continuer à dire qu’Ancelotti, en fait, n’est qu’un bon politique, que s’il a gagné trois ligues des Champions comme entraîneur, c’est surtout grâce à ses présidents, que s’il est encore là c’est parce qu’il est aimé de ses joueurs. Mais si Ancelotti n’a pas de statuts de cuivre à son effigie, ni de principes en marbre auxquels ne jamais déroger, c’est qu’il est fait d’une matière toute différente, plus souple, plus malléable. Il n’offre aucune recette, aucune méthode figée. Il est le spectacle de son propre aboutissement. Carlo fait mieux que la nature en accomplissant des alliages inattendus. Il est à la fois chêne et roseau, souple et résistant. Il est fait, comme dirait Roland Barthes, «essentiellement (d’) une substance alchimique». Mais Ancelotti ce n’est ni de l’or, ni du plomb. Ancelotti, c’est du plastique. 

lundi 22 septembre 2014

Paris contre Paris


Pour une fois, le plus intéressant du match d’hier soir ce n’était ni Cavani, ni Sarkozy, ni Laurent Blanc. À la fin du match d’hier soir on a entendu autre chose. On a retrouvé le bruit de Paris

Et ils gagnèrent presque tout. À cause du PSG et après tant d’années de silence, Paris devenait favori partout où il passait. Il ne pouvait plus se contenter de sortie honorable, de stades aux trois-quart vides, de remporter un ou deux matchs, d’être héroïque devant Reims, Saint-Etienne ou Nantes avant de disparaître pour de longs mois à l’ombre d’un beaucoup plus grand ou d’un beaucoup plus célèbre que lui. Paris SG, parce qu’il était le club de Paris, devait gagner ou perdre mais toujours avec grand bruit, jamais dans la discrétion. L’affaire était entendue. Qui supporterait un Paris moyen, commun ? Qui accepterait que le nom de la ville de toute la France ne fût pas craint partout où il passerait ? Le club de cette ville préfèrerait même les railleries et les indignations à l’indifférence et l’oubli. C’est au sommet qu’il se sentait le mieux. Parce qu’une fois installé sur les cimes, Paris aime jeter à nouveau son condamné dans le vide juste pour le plaisir de le voir tout recommencer. C’était l’été 73, une bande de trentenaires à chemises roses dirigée par Daniel Hechter se planta devant le football français d’avant Saint-Etienne, d’avant l’OM, d’avant les parvenus et jetaient au visage des présidents rances et des odeurs de renfermés leur ambition pour Paris, leur amour du jeu, leur plaisir d’être ensemble. Ensuite ce fut Borelli en 1978 qui prit la place sous le rocher puis Canal Plus en 1991: « enfin, répétaient-ils, il y aurait un grand club à Paris». Puis ce fut Colony Capital en 2006 qui s’y risqua. QSI en 2011. Paris SG c’est Sisyphe qui monte, qui descend. Qui remonte et qui redescend. 

Aux donneurs de leçon

Alors quand Thiago Motta osa avouer son ignorance de la victoire en Coupe des Coupes 1996, quand Bernard Lama en voulut ensuite à son inculture, à celle de ses dirigeants, quand Motta fit le lendemain ses excuses pour avoir effacé de sa mémoire une coupe qui n’existait plus, quand Blanc en voulut aussi «aux donneurs de leçon dans cette salle et ailleurs», quand après un match qui semblait plié contre Lyon, PSG se mit à trembler pour rien, à se promener au bord du précipice et vit sa première défaite de la saison quand Tolisso arma sa frappe à bout portant (87ème), on se dit qu’au fond, les choses n’avaient pas vraiment changé. Paris venait de retrouver le PSG, son enfant sauvage. Vous aurez beau le flatter, le gâter, anticiper le moindre de ses désirs, l’ingrat finira toujours par vous mordre, vous faisant regretter d’avoir été trop patient ou trop généreux. Et vous l’abandonnerez, encore. Ainsi ce nouveau PSG ne perdrait plus jamais. On aura aimé y croire, comme on croit au paradis ou à la Providence. Le nouveau PSG serait enfin à la hauteur de sa ville, on s’y était préparé. Les parisiens seraient enfin soulagés et, une bonne fois pour toute, arrêteraient de se plaindre. Mais hier soir, Paris n’a pas gagné et quand le coup de sifflet final retentit, des tribunes descendit ce bruit assourdissant qui tournait dans le Parc jusqu’à atteindre chacun des joueurs rouge et bleu à la nuque et au tympan. À la fin de ce PSG-Lyon sans ivresse, sans révolte, on retrouva le bruit assommant des soirées maudites. Paris était furieux. Il réclamait le retour de son PSG.

Paris-Sans-Gêne

Car le passé ne disparaît pas. Il reste sur place. C’est au détour d’une occasion manquée, d’un résultat décevant ou d’un mot malheureux que Paris se remet à creuser. Ce que l’on pensait pour toujours disparu, surgit alors sous nos yeux, comme ces villes romaines réapparaissant sous les coups de pelleteuse des chantiers de modernisation des villes contemporaines. Alors on est obligé d’interrompre la construction et de mettre à contempler la permanence des fondations anciennes sous la fragilité des structures contemporaines. Sous le Paris SG d’aujourd’hui, il y a toujours cette folle ambition d’un club de football prétendant porter partout dans le monde le nom de la ville de tous les français, la ville de 89, de Quatre-Vingt-Treize, de Baudelaire, de Sarko. Mais si le Paris-Saint-Germain est un club résilient, c’est qu’il a le sans-gêne de l’imposteur de génie, le talent du conteur habile et aguerri. Dans ce club il y a toujours aujourd’hui ce que Christian Montaignac appelait le «Paris Sans Gène» dans L’Equipe en septembre 1973. « Mais pourquoi Paris Sans Gêne ? Parce qu’il s’y passe toujours quelque chose de curieux et d’estimable qui ne court pas d’ordinaire les terrains. Parce que l’argent est là, mais que ceux-là même qui l’avancent savent qu’il ne fait pas le football. Parce qu’on s’y amuse sérieusement, sans se prendre au sérieux, sans cesser d’intriguer un petit monde qui ne va pas tarder à admettre que le PSG est un vaccin prêt à inoculer seulement de l’enthousiasme». Paris ne se lassera donc jamais d’en vouloir à son Paris SG. De le regarder monter, puis descendre. Remonter, puis redescendre. 




lundi 15 septembre 2014

La rançon de Grégoire Puel




Grégoire Puel est-il nul ? Claude Puel a-t-il raison de s’obstiner à titulariser son fils au mépris des protestations ? Faut-il négocier avec une foule en colère ? On s’en est posé des bonnes questions ce week-end.

Au moment d’enfiler son maillot et d’entrer sur cette maudite pelouse, il sentit forcément le poids de la condamnation populaire tomber d’un coup comme une lame aiguisée sur la nuque. Ils n’étaient pourtant pas venus si nombreux ce soir de septembre, à peine 18.000, pour assister à cette exécution. Un espoir naquit dans l’esprit du malheureux quand il vit que certains avaient emmené leurs enfants et les avait installés à côté d’eux, dans les quart de virages des tribunes de ce stade au nom d’assurance-vie, sandwich dans la main et écharpe autour des yeux. Ainsi accompagnés de leur marmaille, espérait le condamné, ils n’oseraient pas insister, ils ne s’autoriserait pas les invectives de la semaine passée, de celle d’avant et de celle d’encore avant. Ils retrouveraient la raison et, s’ils ne se résoudraient pas à le gracier cette fois-ci, au moins garderaient-ils un silence respectueux quand ils entendraient son nom dans les haut-parleurs. Même les taureaux avaient droit au respect. Alors pourquoi pas lui. Quand on est Grégoire Puel, on se dit que les brailleurs s’épuiseront, qu’un ou deux buts les feront disparaître. On se dit que votre stade finira bien par vous oublier et cesser de vous insulter, de vous moquer, de vous conspuer. Ils finiront pas se taire et même un jour de Printemps, peut-être, vous encourageront-ils à nouveau. 

Au nom des arrivistes

Samedi soir, Grégoire Puel était bien sur la feuille de match au coup d’envoi de ce Nice-Metz. Il avait bien la responsabilité de la bande droite du terrain. Il avait même pris du galon dans ce 3-5-2. Il devait se projeter vers l’avant, comme ils disent sur les plateaux de Canal Plus, c’est-à-dire donner de la largeur et de la profondeur au côté droit de son équipe. Si on avait voulu, on aurait même vu un rôle à sa mesure lui permettant de jouer enfin à son poste - milieu droit - et de laisser derrière lui tous ces fantômes qu’ils traînaient à chaque fois qu’il était titularisé en défense par son père, Claude Puel. Mais cette responsabilité nouvelle n’était rien à côté de la sentence qui pesait sur lui depuis des semaines. À Nice, Grégoire Puel ne joue pas contre les adversaires du jour, il joue contre son public, son stade, ses voisins. Et c’est toujours le même reproche qu’on lui adresse. La chose est fixée, inévitable. L’héritier ne sera jamais l’un des leurs parce que, même s’il avait réalisé quelques stages d’été dans les ateliers, qu’il avait même démontré un certain talent et une sincère motivation, le nom qu’il porte exige beaucoup plus et le condamne à ne jamais être un inconnu parmi d’autres. Le fils du roi est toujours plus obligé que les autres. On ne se libère jamais de ses responsabilités dynastiques. C’est l’avantage de l’arriviste sur l’héritier, son nom est encore à construire. 

La meute

Pourtant, même en 3-5-2, il faut bien défendre un peu. Alors qu’au milieu, il jouait juste et plutôt finement, tout à coup il devenait quelqu’un d’autre au moment de passer la ligne médiane dans le sens inverse et qu’il devait alors faire face à ces milliers de gorges qui, au mieux, lui riaient au nez, au pire lui crachaient au visage. Il paniquait. Chaque prise de balle en défense, chaque appel était une épreuve à relever. La vie est longue quand dans votre maison on guette la moindre de vos hésitations pour ricaner et vous humilier un peu plus. Chacune de vos approximations, de vos contrôles hésitants, de vos appels contrariés devient une charge supplémentaire contre vous et de laquelle il va falloir répondre au prochain contact avec le ballon. Grégoire n’avait rien à dire pour sa défense ou alors personne ne l’écoutait. L’affaire était entendue. Le coupable c’était l’entraîneur, son père. Il avait perdu le sens de l’équité au profit de celui de la famille. Et la justice populaire tourna au lynchage. Pendant toute la première mi-temps, on entendit des pères hurler sur le fils d’un autre comme ils l’auraient fait sur un animal perdu  «Regardez comme il est nul ! regardez comme il est seul ! Voyez comme il est la honte de notre clan ! Chassez-le d’ici !» Alors les plus courageux, s’installèrent au milieu d’une foule anonyme et, au lieu de demander la tête du roi, demandèrent celle se son fils. 

Oublier Puel

En seconde mi-temps, Claude soulagea Grégoire en 4-3-3, l’allégeant de sa fonction défensive. La prestation du fils fut loin d’être ridicule. Presque admirable compte tenu des circonstances. Plutôt qu’à l’encourager, la foule s’obstina malgré tout à conspuer son nom quand Puel remplaça Puel par Eysseric à la 64ème. Avant de regagner son banc, le bel indifférent leva les mains au ciel et remercia une dernière fois le public de son soutien. Le jury le conspua un peu plus encore, voyant dans ce geste naïf et audacieux, le dernier forfait de l’imposteur quittant la scène. Le roi Puel avait fini par céder et reprenait le corps de son fils sous les huées. Il n’y avait pourtant rien de déshonorant à offrir le repos à celui qui aurait juste aimé qu’on l’oublie un peu. Puel venait de lui offrir «une chance de se libérer de l’obligation d’être toujours le héros, comme on attend toujours de moi que je sois le roi. Pour enfin assumer la charge plus légère d’être simplement un homme. C’est peut-être ça le vrai cadeau que je dois lui faire, c’est peut-être ça la rançon» (David Malouf, Une Rançon). Grégoire Puel mérite-t-il d’être conspué par les siens ? Poser la question c’est déjà y répondre. Peu importe la cause. Ce qui compte c’est l’effet. 



lundi 8 septembre 2014

L’Espagne et son vieux

L’Espagne joue ce soir un nouveau match sans son maître-horloger. Depuis que Xavi Hernandez n’est plus au centre de cette équipe, elle a perdu sa joie et son rythme. Est-ce d’avoir trop ri ? trop joué ?

Il ne dit rien quand, en juin dernier, quelques minutes avant ce match, il ne vit pas son nom sur le grand tableau du vestiaire du Maracana. Il enfila tout de même son numéro 6 mais le dissimula sous une chasuble qui tout à coup sembla peser des tonnes. L’heure avait sonné. L’Espagne jouerait sans lui contre le Chili. Elle préférait essayer autre chose, laisser la place à un autre un peu plus jeune, un peu moins vieux. Comme ces anciens qui parvenaient à s’en aller sans bruit et sans histoire, tant ils nous avaient convaincus qu’ils n’étaient pas indispensables, Xavi Hernandez s’assit sur un banc au milieu des autres pour y regarder la pendule d’argent. Santi Cazorla avait pris sa place à l’intérieur du mécanisme, dans ce qu’en Espagne ils appelaient «la salle des machines». Sans doute pensèrent-ils encore qu’il suffirait de changer les pièces pour relancer la trotteuse du cadran, pour que la sélection Rouge se remette à tourner comme elle le fit pendant 8 ans. L’Espagne construisait depuis des années des nouveaux Xavi. Il était temps que les jeunes prennent le pouvoir. Il était temps de vivre sans lui.

Au pays des Anciens

Mais en Espagne on n’abandonne pas ainsi ses vieux. Dans le pays le plus âgé de l’Union Européenne, où le taux de fécondité (avec la Pologne et le Portugal) est le plus bas, où on est père de famille pour la première fois à 35 ans, les vieux ne sont pas ces gens installés dans leur salon qui grèvent les comptes de la Nation. En Espagne les anciens n’ont jamais rien à reprocher aux plus jeunes. Dans le secret des déjeuners du dimanche midi, ils soutiennent l’économie familiale avec leur maigres retraites (980 euros en moyenne contre 1300 en France). Ce sont eux qui remplissent les marmites et les verres vides. Ensuite ils vous entraînent, le soir tombé, prendre le frais pour vous raconter des histoires. Certains, comme la famille de Joaquín Hernandez, le père de Xavi, quittèrent un jour l’Andalousie (Almería) pour trouver du travail dans les usines catalanes. D’autres étaient restés au pueblo, guettant de jours meilleurs. Jamais personne ne s’étaient plaint, insistent-ils. Alors, malgré les offres de New York, l’intérêt de Van Gaal ou les attraits de l’exil australien, Xavi préféra rester à la maison pour regarder grandir sa descendance, chez lui à Barcelone, avant de s’évaporer sans bruit.

Le bon temps

De temps en temps il attrape ainsi quelques minutes comme contre Villarreal le week-end dernier (il rentre à la 75’, Sandro marque cinq minutes plus tard, victoire 1-0). Alors comme par magie, on entend à nouveau le tic-tac d’antan. On retrouve cette façon de construire des triangles équilatéraux partout où il se trouve, de créer du mouvement dans un milieu surpeuplé, de demander le ballon dans les pieds, de tourner la tête à gauche, à droite, de contrôler puis de la donner toujours exactement dans le bon tempo. Mais quand on veut grandir la nostalgie est envahissante. Alors jeudi dernier, pour le premier match de l’Espagne depuis le Mondial contre les Bleus, Xavi n’était pas sur la feuille de match. Ils disaient en Espagne, que le vieux avait renoncé à la Selección. Peut-être. Mais sur le terrain, en fait, on vit que c’était la Selección qui avait renoncé à Xavi. Parfois Koke et Fabregas parvenaient à accélérer les révolutions du cuir sur la pelouse, mais le ballon s’égarait ensuite dans une profondeur mal mesurée, dans un ballon qui, à l’époque, aurait été joué dans l’intervalle jamais dans l’espace. Cette façon d’installer Fabregas à la place du vieux, de le reculer un peu pour s’accorder aux appels en profondeur de Diego Costa, de jouer dans les zones vides plutôt que sur les positions pleines, était peut-être un peu plus réaliste, plus adapté à l’effectif qui était sur la pelouse, plus rapide, plus moderne. Mais sans son vieux Xavi, l’Espagne est devenue une mécanique normale, presque vulgaire. Vicente Del Bosque tente bien aujourd’hui de nous consoler « il n’y a pas qu’un seul style de jeu. Il y en a beaucoup, nous n’avons renoncé à aucun d’eux.» Il va falloir pourtant s’y faire. Même en Espagne les horloges d’argent finissent pas casser. Et les vieux par partir.

http://www.sofoot.com/l-espagne-et-son-vieux-188785.html



vendredi 5 septembre 2014

Deschamps, Bielsa et la vérité



On se demande si Bielsa est prêt pour la France. Si ses méthodes, son discours, cette façon de gérer son groupe sont adaptés aux moeurs de l’Hexagone. Et si c’était plutôt l’inverse. Et si c’était la France qui n’était pas prête ?

Qu’attendaient-ils ? Ils espéraient sans doute que le «grand entraîneur», Marcelo Bielsa, un peu «excentrique» mais suffisamment volumineux pour dissimuler la forêt de doutes qu’ils cachaient derrière lui, leur garantirait les faveurs des grands titres et la bienveillance des marketeurs parisiens. Marcelo Bielsa était un grand entraîneur et prendrait la place sur le banc le plus explosif de France. Enfin nous verrions l’ambition de ces dirigeants, nous ne pourrions que nous rendre devant la grandeur de cette institution. Quand à Paris on faisait le choix du strass et du clinquant, à Marseille, on avait fait celui de la méthode et de l’intelligence. Certes, la France avait encore perdu une place à l’indice UEFA au profit de la Russie, mais nous allions leur montrer, à tous les Cassandre de l’UEFA, comme ils avaient tort. Les informaticiens de la défaite et tous les poètes de la statistique devront se rendre à l’évidence. Bielsa, le plus grand entraîneur du monde, était à Marseille. Et le sélectionneur des Bleus était un grand compétiteur. C’est bien qu’en France on avait un savoir-faire. 

Une armée mexicaine

Puis vinrent les premières conférences de presse de Bielsa et tout changea. Bien sûr elles étaient en espagnol, bien sûr ses phrases étaient longues, chaque expression employée était impossible à défaire de son contexte. Ce type était étrange, vraiment trop fou. On arma donc des trésors d’imagination pour tâcher de «décrypter» le «ton professoral», le caractère «mystérieux» de ses allocutions, la tonalité «humoristique» qui se «dégage» de cette «armée mexicaine de traducteurs». On moqua ses yeux baissés et le ton monocorde de ses interventions. Quand Franck Passi renonça à traduire - «je suis perdu là» - on fit même mine de ne plus rien n’y comprendre à notre tour. Maintenant qu’il s’en «prend» à la direction du club, on demande même son avis à Vincent Labrune, président de l’OM, «je ne comprends pas tout. C’est assez injuste mais on va dire que ça fait partie du personnage». C’était pourtant très clair, Bielsa et lui avaient fixé des objectifs qui n’ont pas été remplis pendant l’été. Lors de ladite conférence de presse et au nom du leadership auprès de ses joueurs et du sens de la «responsabilité très lourde qui pèse sur (s)es épaules», le prof n’a utilisé aucun aphorisme, aucune formule toute faite, aucune petite phrase assassine. Il s’est simplement attaché à expliquer très méthodiquement (et en 52 minutes) la situation. «Je ne peux pas vous demander de me croire mais en ce qui me concerne, je serais incapable de vous relater ces faits si le moindre d’entre eux était inexact». Bielsa ne dégoupille pas, il explique. Les autres ? Ils se marrent.

Critique muette et aveugle

Mimer l’incompréhension en ricanant est peut-être le procédé plus abjecte qui soit car c’est un procès fait à l’intelligence et à la culture. Roland Barthes évoquait dans Mythologies en 1957 le mal des critiques français : «pourquoi donc la critique proclame-t-elle périodiquement son impuissance ou son incompréhension ? (...) Moi, dont c’est le métier d’être intelligent, je n’y comprends rien : or vous non plus vous n’y comprenez rien; donc c’est que vous êtes aussi intelligents que moi.» Se moquer de l’homme plutôt que de discuter ses idées, c’est se moquer de la connaissance. «Le vrai visage de ces professions saisonnières d’inculture, poursuit Barthes, c’est ce vieux mythe obscurantiste selon lequel l’idée est nocive, si elle n’est pas contrôlée par le ‘bon sens’ et le ‘sentiment’ : le Savoir c’est le Mal». C’était avril 1994 dans la presse portugaise et Artur Jorge venait d’être limogé du PSG malgré le titre de champion et une demi-finale de coupe d’Europe : «les critiques sportifs sont responsables de l’insuffisance des résultats français, parce qu’ils font passer des messages qui ne correspondent pas à la réalité. Ils sont pétrifiés dans le temps, comme si le football s’était arrêté dans les années 40 ou 50. On confond les priorités. C’est dramatique d’autant plus qu’on n’a aucune chance de changer cet état de choses». Oui mais nous on a Didier Deschamps.

Une victoire de prestige

La critique française préfère Elie Baup, Francis Gillot et Eric Di Meco. Elle aime les opinions grossières, les phrases courtes, l’accent du midi et surtout, qu’on lui parle gentiment. Elle aime donc beaucoup quand Didier Deschamps lui caresse les oreilles en lui parlant de «l’état d’esprit (qui) est toujours là». Eux, les sceptiques, comprennent mieux que les autres le sens pourtant obscur de cette phrase censée expliquer la victoire 1-0 contre l’Espagne : «il y a un vécu, déjà pas énorme car il n’existe que depuis deux ans, mais ça a compté». On attend. Aucune question ne vient. On ne saura donc jamais en quoi consiste cette stratégie de l’état d’esprit, ce qu’est un «vécu», comment il se manifeste, comment il s’entraîne. Qu’on nous dise, une bonne fois pour toutes, ce que la «confiance» veut dire, ce qu’une «victoire de prestige» signifie. Qu’on explique ce qu’est un «patron technique». Quand Domenech parlait du «groupe qui vi(vai)t bien», les chiens de garde hurlaient en criant à l’imposteur. Aujourd’hui quand Deschamps communique sur «l’aventure humaine» au Brésil, c’est le silence. Et quand Bielsa parle de choses concrètes et tangibles - la mauvaise gestion de son club - ils miment l’incompréhension devant ce «personnage». Pire, entre eux, ils rigolent bien et se disent qu’il est vraiment «fou», ce Loco. Pourtant le travail d’un entraîneur en conférence de presse est précisément de parler de football, de collectif, de prise de risque, de système, de décision, de choix, de responsabilité. De nous expliquer comment la France a-t-elle pu être éliminée du Mondial 2014 par l’Allemagne sans jouer, pourquoi les deux meilleurs joueurs français (Nasri, Ribéry) ont renoncé à leur équipe nationale. Bref, de nous dire la vérité. 

http://www.sofoot.com/deschamps-bielsa-et-la-verite-188698.html

lundi 1 septembre 2014

La colère d’Ibra




La meilleure façon de marquer un triplé dont on se souviendra à Paris est de le faire sans esquisser un sourire. Comment reconnaît-on le plus grand des héros ? À sa façon de faire la gueule. 

Les vrais héros ne sont jamais heureux. Ils ont toujours ces mêmes yeux noirs, ces traits dessinés à la hache, ce nez aquilin, cette lippe humide et saillante, cette même façon de dire «Adieu» sans jamais ouvrir la bouche. Toujours entachées des pêchés des autres - ceux qu’ils sont venus racheter - leurs âmes sont lourdes, jamais joyeuses. Le destin d’un héros est de porter toutes les peines des hommes, de les combattre, de les vaincre et puis ensuite de disparaître sous les vivas d’une foule extatique. Hier soir, Paris était venu voir Zlatan, brassard autour du bras et Tour Eiffel sur le plastron. Comme une galante trop exigeante, elle voulait être surprise encore une fois par son légionnaire favori. Alors à la fin de la soirée elle hurla sa satisfaction quand, quittant la pelouse du Parc des Princes après avoir marqué un triplé de classe contre Saint-Etienne, elle vit son héros rentrer avant les autres. Paris contentée, la colère d’Ibra n’était pourtant pas redescendue. Sur son visage, au moment de rendre son brassard, on devinait la bile qui lui rongeait l’estomac. Il avait encore dans le nez toutes ces choses qu’on avait racontées sur sa blessure étrange, sur son âge qui devait prendre le dessus cette saison, toutes ces choses que l’on dit sans réfléchir dans les colonnes des journaux, dans les conférences de presse d’avant-match, sur les plateaux de télévision.  «Only god can judge me» avait-il fait un jour tatouer sur son flanc gauche. Attention à ceux qui se prennent pour des dieux.

Zlatan, l’Achéen

Zlatan Ibrahimovic est le seul héros de Paris comme Achille est le seul héros de la Guerre de Troie. Non pas parce qu’il est le plus fort mais parce qu’il est le plus en colère.  «Chante, Déesse, la colère du Péléide Achille, pernicieuse colère qui valut aux Achéens d’innombrables malheurs, précipita chez Hadès les âmes généreuses d’une foule de héros, et fit de leurs corps la proie des chiens et de tous les oiseaux» (L’illiade, Homère). Zlatan est le seul Achille de cette équipe parce qu’il est le seul à être en communication directe avec les âmes du public venu le voir. Ibra parle à peine français, a voyagé dans le monde entier, a joué à l’Ajax, la Juve, le Barça, l’Inter, Milan, aurait pu jouer partout ailleurs s’il avait voulu. S’il était venu à Paris pour jouer à demi, sourire sur les photos et puis disparaître peu à peu en filant sa retraite dorée, les parisiens ne lui en auraient peut-être même jamais voulu. Au contraire, ils auraient été fiers de l’avoir vu avec le maillot bleu et rouge au moins une fois comme Cruyff, Susic ou Bianchi avant lui. Ils auraient vu quelques restes du talent d’antan, quelques talonnades, quelques buts-massues, ils auraient même trouvé presque dommage qu’il arrêtât ainsi comme Beckham avant lui. Ils l’auraient bien prolongé pour jouer quelques matchs au Parc et amuser la galerie. À 32 ans, un attaquant avait le droit de s’économiser un peu, d’abandonner la course aux statistiques et de se dédier entièrement au divertissement. Ils auraient oublié de faire les difficiles, ils seraient devenu indulgents. 

Mériter le Parc

Mais Zlatan est toujours en colère, comme Paris. C’est-à-dire qu’il a dans son âme quelque chose d’irrémédiablement volcanique. Accroché au destin de cette ville et de ses habitants, Zlatan a attrapé quelque chose de l’âme parisienne pour la mettre dans cette façon de dézoner, de prendre le jeu en main, de protéger la possession s’il le faut, de se battre pour un ballon de but, de réconforter un gardien stéphanois fautif et inconsolable. Dans cette ville qui aime au moins autant se moquer de ce club aux humeurs quinteuses qu’aller au théâtre le dimanche soir, tout le monde sait maintenant qui est le héros dont personne ne rit plus. Arrogante, égocentrique et prétentieuse, Paris a reconnu en Zlatan, l’un de ses siens. On ne brille pas à Paris comme on brille ailleurs. A-t-on jamais vu Safet Susic rire aux éclats ? Pauleta taper le carton ? Non, à Paris ce qu’on aime ce sont ces hommes qui n’en finissent pas de se révolter contre le sort, contre les autres. Pauleta le raconta un jour «il faut beaucoup de caractère pour jouer au PSG, pour jouer au Parc (...). Il faut être plus fort que le Parc, ne jamais baisser la tête, être à la hauteur de l’endroit et des gens qui te regardent (...). Tu dois mériter le Parc». Alors hier soir quand il venait de marquer son troisième but, Laurent Blanc décida de mettre son héros au repos et de lui offrir une ovation générale. Zlatan, en regagnant le banc, ne jeta pas un seul regard au Parc. Et Paris adora cela.