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mardi 28 octobre 2014

Ancelotisco ou le retour du fils prodigue



Il y a des perspectives qui ne s’apprécient qu’avec le recul et la distance. Le geste le plus intéressant de ce clásico a presque échappé aux caméras. Tant mieux. C’est avec l’imagination qu’on fait les plus beaux chef d’oeuvre. La preuve ? La relation Isco-Ancelotti. 

Les madrilènes aimeraient que le temps s’arrêtent maintenant et que ces trois jours et ces trois nuits passés à célébrer ce glorieux samedi ne s’achèvent jamais. Il y avait longtemps à Bernabeu qu’on n’avait pas vu un Real aussi sûr de lui contre le terrible rival catalan. Il y avait longtemps aussi qu’on n’avait pas vu la meringue tourner aussi bien, même après un but encaissé très tôt. Du temps de Guardiola et de sa bande de gamins affamés, Madrid aurait fait le choix de la défense assiégée. On se serait rassemblé autour d’un défenseur portugais au faciès de coupable et on aurait attendu que passent les orages et les tempêtes. Il aurait fallu à tout prix éviter un deuxième but d’écart qui les aurait effondrés un peu plus. C’était le temps où à Madrid, au coup de sifflet final, on examinait une dernière fois le tableau d’affichage pour s’assurer de la fin de la souffrance. Ouf. Avec ce match nul, le plus dur était passé, on pouvait maintenant aller au Camp Nou le coeur léger. Beaux joueurs à peu de frais, on aurait ensuite dit - au pire - que Barcelone avait bien joué, qu’ils avaient mérité leur victoire, ou - au mieux- qu’on n’avait rien vu, qu’on avait déjà tout oublié. Pour faire passer le temps jusqu’au prochain clásico, on se prendrait alors au jeu de la défense élastique, celle qui s’étire au bord des terrains comme les horloges de Dalí sur le coin des tables, et on rêverait à un nouveau milieu défensif qui nous protègerait encore mieux du temps qui passe. Mais tout cela c’était avant. Avant le retour d’Isco. Avant ce geste.

Isco maravilla

Depuis samedi à Madrid on célèbre quelque chose d’autre. Sur un corner tiré par Rakitic à peine entré sur le terrain, James avait intercepté un ballon qu’il balança ensuite dans l’espace en diagonale vers un gamin aux jambes en forme de O. Accroché à ses pieds tournés vers l’intérieur, la tête penchée en arrière, il tira, tira, sur son train postérieur et se mit à cavaler vers ce ballon destiné à la défense barcelonaise. Bernabeu découvrit les reflets moirés de la perle polie par Ancelotti depuis un an. Il disait de lui alors «Isco est un joueur de grande qualité quand il joue dans l’axe du jeu, mais nous avons besoin qu’il fasse un travail défensif sur le côté». Et c’était bien sur le côté qu’Iniesta et Alves, dépassés par la furie de ce diable lancé depuis 50 mètres, virent Isco mettre le pied sur le ballon et offrir un terrain ouvert à Ronaldo et Benzema. Cette récupération de balle dans le camp adverse sans trahir aucun symptôme de résignation - on devina même de la satisfaction à cette façon de lever les bras en l’air sur le but qui suivit- réveilla dans la tête des vieux habitués de Santiago-Bernabeu des images perdus depuis Juanito (illa, illa, illa, Juanito maravilla devenu illa, illa, illa, Isco maravilla). Ce but fut attribué à Benzema sur les tables des statisticiens, mais décerné à Isco dans les mémoires de ceux qui savent que le plus beau ce n’est pas le présent du but, mais les minutes qui lui ont immédiatement précédé. Ce passé-là était beau comme un passé décisif.

La zone d’Ancelotti

Quelques minutes plus tard, l’heure des hommages et des remerciements approchant, son entraîneur choisit élégamment quel serait le premier à être applaudi par la foule. Le stade n’eut pas besoin de chiffres ni de palette graphique (avec Marcelo, Isco fut le joueur le plus influent selon les experts) pour applaudir son joueur. Comme Di Maria transformé en intérieur à tout faire l’an passé ou Kroos en patron de la relance cette saison, le monde découvrait le travail sous-terrain et invisible de Carlo Ancelotti. Le grand entraîneur se reconnaît à cette façon discrète de convaincre ses joueurs qu’ils ont intérêt à mettre leur égoïsme au service des autres. Au nom de la grandeur personnelle, il parvient ainsi à leur faire changer leurs habitudes et se mettre au service de la cause collective, tout en rendant grâce à leur grandeur d’âme et leur esprit de sacrifice. Avec Isco, Carlo venait de montrer qu’on pouvait rester le génie dribbleur et insolent de Malaga, tout en obéissant à la discipline tactique et collective de la défense en zone. Carlo inventa un milieu défensif composé exclusivement de joueurs offensifs (James-Modric-Kroos-Isco) se replaçant presque aussi bien que celui de Sacchi (Donadoni-Ancelotti-Rijkaard-Colombo). Devant ce mur infranchissable, où les joueurs blancs ne se situaient jamais à plus de sept ou huit mètres l’un de l’autre, les déplacement de Messi ou Neymar furent désamorcés par l’intelligence collective de leurs adversaires. Comme Sacchi avait pris le temps en 1987 avec Ancelotti, fraîchement arrivé de la Roma et qui peinait à s’adapter aux méthodes de l’entraîneur milanais, Carlo avait prit à son tour le temps d’expliquer à Isco ce qu’il attendait de lui et de faire entrer, petit à petit, son football de rue dans celui de la zone. 

Un Hug ou une bise ? 

Alors le plus beau geste de samedi dernier ne fut aucun des quatre buts marqués. C’est l’homme de terrain de Canal Plus Espagne, Ricardo Sierra, qui le vit en premier. Tandis que le réalisateur nous montrait les vivas du public enthousiaste, il coupa la parole aux commentateurs et s’exclama « quel abrazo vient de donner Ancelotti a Isco !» Quel était donc ce geste ? Que venait de faire Ancelotti ? Un abrazo est une sorte d’accolade qu’on se donne en Espagne quand on ne veut plus se serrer la main et qui n’est ni un hug américain, ni une bise façon sud-est de la France. Ce geste d’amitié est utilisé couramment dans les relations sociales pour témoigner d’une affection sincère envers un ami, un parent, un frère. Dans ce pays on n’utilise aucun tic étrange, aucune drôle de façon de se taper dans la main pour se dire qu’on se respecte ou qu’on s’apprécie. On préfère utiliser un geste que tout le monde connaît et dessiner un O autour des épaules d’un frère. Quand Isco sortit posément du terrain il tendit sa main droite à son entraîneur. Celui-ci ouvrit ses deux bras, attrapa son joueur et le serra contre sa poitrine. Cet abrazo n’était pas n’importe lequel. Les deux mains posés dans le dos de ce fils prodigue, on devina la tendresse d’un pédagogue envers un élève reconnaissant, la joie d’un père retrouvant son fils égaré après des mois d’errance. « Mangeons et réjouissons-nous ; car mon fils que voici était mort, et il est revenu à la vie ; il était perdu, et il est retrouvé !» (Luc, 15). Pendant trois jours et trois nuits, Madrid célébra le retour de la brebis égarée et la naissance d’un nouveau chef-d’oeuvre italien, l’Ancelotisco. 


jeudi 16 octobre 2014

Les jardins de Messi



Voilà dix ans que Leo Messi habite tous nos résumés et tous nos records. Il est le meilleur du monde depuis le jour où il a commencé le football. Mais parfois être le meilleur ne suffit pas. Dans les jardin où Messi a été enfant, les héros ne s’appellent pas toujours Leo. 

On ne devient pas un génie sur n’importe quel terrain vague. Pour retrouver le jardin où nous avons été enfants, il faut prendre son temps, marcher quelques heures et divaguer un peu. Au bord de la route de campagne qui nous mènerait vers ce terrain municipal idéal, il y aurait un mur de vieilles briques irrégulières sur lequel on s’inventerait des armées d’adversaires imaginaires qui nous bombarderaient de talonnades dans la course et de contrôles orientés. On s’appliquerait beaucoup avant de rendre la balle à Pelé, Maradona, Pasarella, Bati, Kempes, et à tous ces héros qui nous accompagneraient dans notre quête du geste parfait. On contrôlerait de l’intérieur du pied gauche et on passerait de l’intérieur pied droit juste devant nous. Contrôle-passe. Contrôle-passe. Ensuite, du droit, sans contrôle, un crochet, but. Après des centaines d’heures de pratiques devant le mur à demi effondré, on arriverait même à ne plus regarder nos pieds du tout. On devinerait où se trouve le ballon juste à l’entendre taper contre la brique et rebondir sur le macadam sec. Puis, le week-end suivant devant les copains et les parents armés de caméscopes, le maillot rouge et noir sur le dos, on se faufilerait si effrontément entre nos adversaires que tous les week-ends on nous appellerait Diego. Même si notre vrai nom, en fait, ce serait Leo. 

Rosario en lui

Léo Messi est né à Rosario et «Rosario c’est une manière exagérée d’être argentin», dit un jour Valdano. Elle abrite le destin méandreux des âmes tourmentées, de ceux qui aiment être fous, mais toujours artistement. Il faut casser beaucoup plus de fenêtres et de pots de fleurs qu’ailleurs pour avoir le droit de voir son visage peint sur le même mur que celui du Che Gevara, de Tata Martino, de Marcelo Bielsa, du Trinche Carlovich, de Fito Paez, del Pocho Lavezzi ou d’Angel Di Maria, tous natifs de là-bas. Léo a beau y avoir lui aussi passé son enfance, il ne leur ressemble pas. Soyons sincère, il est tellement sage, tellement gentil qu’à côté de tous ces révolutionnaires, les couleurs trop fades de son portrait s’effaceraient derrière l’éclat de ceux de ces glorieux voisins. Il est tellement bien élevé que pour se mettre à l’admirer, il faut se forcer un peu. Heureusement qu’il est talentueux. Imaginez un Léo Messi qui n’aurait pas les mêmes dons, la même rapidité, la même voracité. Il n’intéresserait personne et son visage de gamin des campagnes ne séduirait que ses voisines. Pour le secouer un peu Roberto Fontanarrosa, immense auteur de Rosario, lui aurait dit comme dans son livre Púro Fútbol «Tu ne pourras jamais être une idole si tu es trop parfait, mon vieux. Si tu n’as pas un peu de vice, si on ne t’a jamais attrapé en tort...Comment, bon dieu, veux-tu que les gens s’identifient à toi ? Qu’est ce que t’as en commun, toi, avec tous ces singes en tribunes ?»  

Les amours de jeunesse

Il faut dire qu’en plus en Argentine, on n’aime pas trop les jeunes. Les foules ont appris très tôt à ne pas tomber amoureuses de promesses, celles qui quittent le pays à la première occasion. Le public préfèrera toujours confier ses états d’âmes aux vieux lions dont personne ne veut plus en Europe comme Palermo, Verón ou Ortega plutôt qu’aux jeunes premiers élégants et bien élevés comme Banega, Gago ou Messi. Ils embrassent tous leurs maillots quand ils marquent un but devant les Barras Bravas. Mais on sait trop bien ce qu’ils feront, les novices, juste après, quand un Airbus pour l’Europe s’approchera un peu trop près d’eux. Ils s’exileront sur l’autre hémisphère. Et, des années plus tard, au hasard d’une éventuelle sélection avec l’équipe nationale, les plus nostalgiques les retrouveront dans la lumière du Stade Monumental le temps d’une interminable éliminatoire pour un Mondial trop lointain. Ces quelques collectionneurs patients se remémoreront leurs exploits passés, jureront qu’ils les avaient vu un jour il y a des années sous le maillot de River, Boca ou Newell’s. Mais tous les autres, un peu comme ces enfants malheureux qui préfèrent effacer les mauvais souvenirs plutôt que de souffrir pour toujours, diraient qu’ils ne s’en souviennent plus. Maradona, Kempes ou Riquelme, eux, avaient attendu avant de traverser l’Atlantique. Ils méritaient qu’on les pleure, qu’on les aime. En 2000, quand il quitta Rosario pour Barcelone à l’âge de 13 ans, Messi était déjà du passé.

La résurrection de Messi

Cinq ans plus tard, pour son premier match avec l’Argentine, le petit Diego de Rosario, réapparut bruyamment. C’était le 18 août 2005. L’Argentine affrontait la Hongrie en match amical à Budapest. On n’avait un peu oublié ce gamin depuis qu’il avait quitté le pays pour Barcelone il y a quelques années. Comme tant d’autres promesses avant lui, il s’était envolé. Son père, Jorge, l’avait accompagné en Catalogne, laissant le reste de sa famille rentrer à Rosario. Léo y passait chaque année ses vacances. Il avait finalement grandi. C’était à peu près tout. Rien de renversant. Pas de quoi remplir une somme théologique à l’usage des gentils. En Europe ils avaient beau dire que ce Leo Messi serait le nouveau Maradona, à Rosario on s’en méfiait d’autant plus. Les européens avaient-ils jamais compris qui était Diego ? Et puis un gamin de Rosario qui a grandi en Catalogne est-il toujours un gamin de Rosario ? Ne lui avait-on pas proposé de jouer avec l’Espagne ? Certes, le gosse avait choisi l’albiceleste mais l’Argentine, elle, n’avait pas encore choisi Messi. Elle devait juger sur pièce, voir le gamin en costume. 

Une paire de coudes

À la soixante-quatrième minute de ce match il remplaça donc Lisandro Lopez et fit ce qu’on n’attendait plus de lui depuis longtemps. Sur le terrain Ferenc Puskas de Budapest, Lio contrôla le ballon à 40 mètres des buts hongrois, se retourna puis partit balle collée au pied gauche, maillot bleu et blanc dans le vent. Il fit le tour de Vanczak mais le milieu hongrois ne le lâcha pas pour autant. «je l’ai passé mais il a continué à s’accrocher à moi, raconta Lio quelques heures plus tard. Alors j’ai essayé de me détacher pour pouvoir continuer mais l’arbitre a considéré que je lui avais donné un coup de coude». Il faut le voir sur les vidéos lever les bras au ciel et taper sur ses cuisses d’agacement, comme s’il avait été le numéro 10 de l’Argentine depuis sa naissance en 1987. José Pekerman, le sélectionneur de l’époque, comprit immédiatement qui était ce gamin capricieux« Leo a réalisé un dribble pour son premier ballon». Mais surtout, il asséna deux coups de coude dans le visage de son opposant direct. Et pour son premier match avec l’abiceleste après 18 ans d’attente, il vit un carton rouge 30 secondes après être entré sur le terrain. Buenos Aires éclata de rire. Rosario frémit, de joie.

Don’t cry for me Barcelona

À Barcelone, quelques mois plus tôt, le 16 octobre 2004, il avait débuté avec la même insolence dans un derby contre l’Espanyol. On parlait de lui depuis des mois dans les bureaux et les tavernes de la ville. Il y avait, disaient-ils, un gamin encore plus fort que Ronnie, plus rapide, plus précis qui jouerait bientôt en équipe première et qui avait déjà disputé quelques minutes en amical contre le Porto de Mourinho l’année précédente. Fabregas et Piqué avaient quitté le bercail mais lui, la perle de la cantera, était toujours là. Ajouté aux petits Andrés Iniesta et Xavi Hernandez, cette équipe pourrait bien valoir le coup d’oeil dans quelques temps. Enfin, c’est ce qu’ils pensaient. Pour dire vrai, quand ils virent cette puce sursauter d’un ballon à l’autre pour son premier match, ils comprirent seulement pourquoi depuis les catégories inférieures on le surnommait la Pulga, le petit argentin. Installé côté gauche, puis côté droit, numéro 30 dans le dos, puis numéro 19, le gamin sautait partout. Mais à part quelques contrôles élégants, Ludovic Giuly qui arriverait quelques mois plus tard, n’aurait pas à s’inquiéter pour son couloir droit. Pourtant si on avait regardé plus attentivement les réactions de ses aînés on aurait vu quelque chose de prémonitoire. Le sourire de Ronnie ou plus tard l’attitude paternaliste de Thierry Henry à son égard, trahissaient en réalité l’inquiétude des anciens devant l’aisance de cet ado attardé dont il surent, quelques mois avant le commun des mortels, qu’il les enverrait tous à la retraite. Ainsi plutôt que de l’étouffer pour l’empêcher d’éclore, ils firent mine de le protéger et d’en être les grands bienfaiteurs. Le 10 brésilien lui servit ainsi un caviar pour un premier but sur lob salué par une ovation du Camp Nou et de tout le banc de touche du Barça. Hors-jeu. Raté. Alors comme pour montrer que cette passe et cette chorégraphie ne devaient rien au hasard, ils répétèrent quelques minutes plus tard exactement le même enchaînement. Cette fois-ci le gamin était bien aligné et glissa un lob rigolard pour son premier but. Tout le monde debout. Messi sur les épaules de Ronnie. Ce miston était vraiment différent. Différent, c’est-à-dire pas comme eux. Ce qui, pour l’ancien qui vit sous la menace permanente de la ringardise, n’est jamais une très bonne nouvelle.

Le football régressif

En le voyant ainsi n’en faire qu’à sa tête sur les terrains du monde, le storytelling des marketeurs se mit rapidement en place. C’était à notre tour d’en avoir plein les yeux. Des centaines de séquences vidéos tournées maladroitement par des inconnus dix ans auparavant sur des terrains d’enfants, apparurent dans tous les récits, tous les reportages. Sur ces films amateurs en libre accès on y contemplait toujours la même chose : un gosse minuscule à la silhouette familière qui en dribblait des dizaines d’autres et qui aurait pu être n’importe qui. Notre mémoire absorbait ces contenus jusqu’à tous les mélanger. Et l’incroyable se produisit alors. Contre Albacete, Chelsea, Valence ou Madrid, ce n’était plus ce jeune ailier qu’on voyait mais ce gamin-là, celui qui dévalait les terrains vagues dans les vidéos, qui célébrait chacun de ses buts comme si c’était le dernier. Certes le nôtre était un peu plus grand et le terrain d’une autre couleur. Mais tout le reste était pareil, y compris le talent. En fait, ils avaient raison à Rosario. Messi n’avait pas changé, il avait juste grandi. Il suffisait de bien le regarder. L'acculturation européenne n’avait rien effacé de sa nature. Il portait toujours en lui le football sauvage de Rosario, celui où il n’y a ni équipes, ni amis, ni camarades. Quand les autres vivaient à l’heure du football moderne et scientifique, s’entraînaient, se civilisaient, Léo vivait encore dans le monde merveilleux du petit pont aller-retour et du chacun pour sa peau. Comme nous à la grande époque, il voulait toujours jouer, absolument tous les matchs, ne jamais aller se coucher. Sauf que lui le faisait maintenant en première division. 

La maquina du Barça

Le drame c’est qu’à côté de lui, tous ces joueurs qu’on pensait grands, devenaient tout à coup normaux. Marquer 20 buts par saison n’avait plus rien de si héroïque. Même Ronnie abandonna le football et se jeta dans la nuit catalane au moment même où Messi allait devenir grand. En fait, ce n’est pas Barcelone qui domestiqua Leo mais plutôt Leo qui ensauvagea Barcelone. Exemple. Un soir de mai 2009, Guardiola s’enferma dans son bureau. Examinant le nombre infini de vidéos dont il disposait sur le Real Madrid de Juande Ramos, son adversaire du lendemain, il cherchait la solution. Tout à coup il prit son téléphone «Léo, c’est moi Pep, il faut que je te dise quelque chose d’important. Viens ici, maintenant». Le petit 10 accourut à l’appel de son chef. Arrivé sur place, Pep l’installa devant lui et lui révéla un secret «Demain à Madrid tu vas commencer sur le côté comme toujours. Mais quand je te ferai un signe tu passeras dans le dos des milieux et tu bougeras dans cette zone là.» Le lendemain il prit un instant pour au moins avertir Xavi et Iniesta «si vous le voyez devant les défenseurs, n’hésitez pas à donner le ballon à Léo pour qu’il aille tout droit vers Iker». Après 10 minutes de jeu et un but madrilène marqué, il fit ce fameux signe. Messi s’installa à son nouveau poste. Le traditionnel 4-3-3 barcelonais explosa. Metzelder et Cannavaro, les défenseurs madrilènes, furent immédiatement emportés par la déflagration. Le 2 mai 2009, le Barça écrasa le Real chez lui 2-6 grâce au falso 9 et entama sa folle série de titres, de gloire et de révolutions. Le Barça de Guardiola gagnera 14 trophées de 19 disputés et Messi, resurgissant ainsi dans l’axe sous n’importe quel prétexte, brisa un à un tous les records et toutes les rigidités tactiques possibles. Il y eut Pedernera à River, Hidegkuti chez les Hongrois, Di Stefano au grand Real, Laudrup chez Cruyff, il y aurait maintenant Léo au Barça.

Maudite Argentine

Alors évidemment en Argentine on lui en voulut un peu de tout ce numéro. Un 10 argentin qui ne brille ni avec Boca ni avec la sélection ne mérite pas d’être souvenu au-delà d’une ou deux décennies. Ils réclamaient beaucoup plus que quelques buts ou quelques passes décisives en éliminatoires pour donner leur amour. Eux aussi voulaient perdre la raison et devenir fous. Ils n’attendaient que ça. Pourtant Léo dut patienter sept ans avant de briser la glace, avant de finir de prouver qu’il était toujours le gamin qui avait quitté Rosario quelques années plus tôt. La fêlure se produisit lors d’un match amical en 2012. En marquant un hat-trick contre le Brésil, il avait battu à lui tout seul l’ennemi héréditaire. Après 70 matchs à douter de lui et de ses motivations, les hinchas argentins entérinèrent l’exploit et entamèrent enfin le long processus d’adoption du gamin de Barcelone. La Coupe du Monde au Brésil finit de payer la dette que Leo avait contracté avec les coeurs de son pays le jour où il avait osé devenir le meilleur du monde beaucoup trop loin de chez eux. En portant son équipe jusqu’en finale du Mondial, Leo Messi était enfin digne d’amour «Nous avons redonné à l’Argentine la place qu’elle mérite» dit-il après le match. Léo rentrait au pays. Mais pour combien de temps ?

Les enfants de Léo

Combien de matchs devront passer avant qu’il ne disparaisse à nouveau ? Dans dix ans, quand on nous montrera les résumés du week-end et qu’on ne verra plus ce minuscule ailier droit débouler devant les défenses et claquer des grands coups de fouets dans les lucarnes opposées, Leo Messi nous manquera-t-il ? Regretterons-nous tous ses buts et tous ses records ? À Rosario, sans doute, ils se souviendront de ses crochets et de ses accélérations sur le terrain vert. Ils parleront encore de ce 2-6 ou de cette finale contre l’Allemagne mais dans un soupir, ils regretteront toujours qu’il ne leur eût jamais offert un Mondial. Tous ces buts et tous ces exploits étaient beaux. Ils les avaient impressionnés, ils l’admettront. Mais, au fond, leur étaient-ils destinés ? Ils auraient aimé le voir souffrir au moins une fois juste pour pouvoir lui ressembler un peu et ainsi percer le mystère inhabituel de ce génie silencieux. Ils diront, pour s’excuser de tant d’ingratitude, que c’est à cause des dirigeants argentins et puis de toute cette pression que le petit Messi ne put jamais jouer libéré avec l’Albiceleste. Ils s’en voudront même peut-être d’avoir autant exigé d’un gamin de 25 ans. Il n’y pouvait rien, il était comme ça. Et puis sur cette conclusion réalise ils s’installeront devant leur écran, l’oublieront un peu et en voudront cette fois-ci aux autres jeunes qui s’en iront. Dans les jardins, les gosses feront rebondir à leur tour le ballon contre le même mur de briques. Au moment de marquer leurs buts imaginaires, se prendront-ils pour Léo Messi ? Non. Dans les jardin où nous avons été enfants, tous les gamins s’appellent toujours Diego.


jeudi 9 octobre 2014

Ici c'est Paris, à paraître le 16 octobre 2014


Parce que le football c’est la vie qui exagère un peu mais c’est la vie quand même, Thibaud Leplat a fait de ce drôle de jeu un terrain d’expérience et d’observation unique pour comprendre à quoi tout cela rime. Ses études de lettres, de philosophie et son diplôme de Sciences-po mélangés à son goût pour les matchs qui n’en finissent plus, pour les odeurs de pelouses et le bruit de tribunes qui vibrent, ont fait de chacun de ses ouvrages une prolongation émotionnelle de ce qu’il se passe quand autant de gens à la fois se mettent à faire exactement la même chose, exactement au même moment. Après la rivalité entre Real Madrid et FC Barcelone et une biographie remarquée de José Mourinho, il a consacré son nouvel ouvrage à l’identité et aux valeurs d’un club unique, celui de son adolescence, le Paris Saint Germain.

Dans Ici c’est Paris il s’est penché sur ces gestes, ces sensations, ces souvenirs en commun qui peu à peu ont construit la mémoire d’un club et sa mythologie. Il ne s’agit pas d’un livre d’histoire classique dans lequel on repasserait froidement et mathématiquement les grands exploits du passé mais plutôt d’un livre vivant dans lequel pour la première fois la mythologie d’un club, c’est-à-dire ses souvenirs mais aussi ses fantômes, ses paranoïas et ses obsessions, est ressuscitée. Ce livre est dédié aux quatre millions de personnes qui suivent chaque semaine ses matchs à la télévision, aux 48000 passionnés qui s’installent dans ses tribunes, à tous ceux qui savent pourquoi ils aiment ce club, mais aussi surtout, à tous ceux qui l’aiment, et ne savent même pas pourquoi. 


Ici c’est Paris parce que quel club, quelle ville pourrait en dire autant ?

Sortie le 16 octobre